Al-Hussein n'a donc pas demandé ce délai de réflexion pour penser vraiment à sa réponse à l'ultimatum de Sa'ad Ibn Ziyâd, sa décision étant d'ores et déjà prise et irréversible. Il voulait ce délai pour passer une nuit de prières et d'invocations, une nuit d'adieu et de testament, une nuit de causerie avec la famille, les amis et les compagnons.
En témoignent les instructions qu'il avait données à son frère al-'Abbas Ibn 'Ali lorsqu'il l'avait chargé de demander ce délai:
«Retourne vers eux. Essaie de les retarder jusqu'à demain et de les éloigner de nous pendant cette nuit afin que nous puissions prier Dieu, L'invoquer et Lui demander pardon. Car IL sait que j'aimerais Le prier, lire Son Livre, multiplier mes invocations et mes demandes en pardon».
Avant le coucher du soleil al-Hussein ayant obtenu le délai qu'il désirait, réunit ses compagnons et les membres de sa famille autour de lui et leur dit que l'ennemi n'en voulait qu'à lui seul, qu'ils pouvaient, quant à eux, se retirer et échapper à la mort, à la faveur de l'obscurité de la nuit. Mais personne n'accepta la proposition généreuse de l'Imam. Tout le monde était déterminé à rester, à se battre et à se sacrifier.
A la tombée de la nuit, alors qu'un silence pesant régnait à l'extérieur, et que l'Univers entier paraissait s'enfoncer dans un sommeil profond, à l'intérieur, où la famille du Prophète passait une veillée d'armes, c'était une véritable fourmilière. Tout le monde était affairé, et occupé à quelque chose.
Chacun y était en action: qui à prier, qui à invoquer Dieu, qui à faire ses adieux, qui à réciter le Coran, qui a implorer le pardon de Dieu, qui à demander que l'on prenne soin de sa famille, de ses enfants et de ses autres futurs orphelins, qui à aiguiser son épée, qui à préparer sa lance.
Comment pouvaient-ils fermer les yeux alors qu'à quelques pas seulement des milliers de mercenaires féroces qui les entouraient semblaient impatients de dévorer leur proie? Comment pouvaient-ils dormir alors qu'un lendemain lugubre et sans lendemain s'avançait d'un pas pesant à chaque moment?
La nuit de la trêve s'écoula, et l'aube annonça l'avènement de ce lendemain terrible. Un vendredi, jour de 'Âchourâ', le 10 Muharram. Au lever du jour, les lances et les sabres des soldats omayyades se dressèrent comme pour dévorer le corps d'al-Hussein, et déchiqueter le Message qu'il brandissait à la fois comme un défi et un rappel.
La vue de cette armée assoiffée de son sang n'impressionna pas al-Hussein qui ne pensait plus qu'au moment où il rencontrerait son Seigneur. Aussi leva-t-il ses deux mains vers le Ciel et se mit-il à L'implorer:
«Ô mon Dieu! A qui je me confie chaque fois que je subis une affliction, et en qui je mets mon espoir chaque fois que je suis dans l'adversité. Je me suis confié à Toi pour toutes les épreuves que j'ai subies. Combien de soucis - devant lesquels le coeur s'affaissait, les solutions manquaient, l'ami s'éclipsait et ennemi se réjouissait - que je T'avais confiés (parce que mon amour est dirigé vers Toi exclusivement) n'as-Tu pas dissipés? Tu es donc pour moi, le Maître de tout Bienfait, l'Auteur de toute Bienfaisance et l'Objet de tout Désir».