L'INTUITION INTELLECTUELLE OU LE DEVOILEMENT MYSTIQUE
1 - L 'Homme et la connaissance gnostique
Bien que la plupart des hommes ne se préoccupent que de gagner leur vie et de satisfaire leurs besoins quotidiens, dans un oubli total des choses spirituelles, il reste cependant dand le fond de la nature humaine un besoin inné de recherche de la Réalité ultime.Chez certains,cette force,qui habituellement sommeille, se réveille et se manifeste ouvertement, sous la forme de perceptions spirituelles.
Tout homme croit en une réalité permanente, en dépit des prétentions des sophistes et des sceptiques qui donnent à toute vérité et à toute réalité, le nom d'illusion et de superstition. Parfois lorsqu'avec une âme et un esprit purs, l’homme perçoit la réalité permanente imprégnant l'univers et l'ordre créé, et simultanément, perçoit l‘impermanence et le caractère éphémère des diverses parties et éléments du monde, il se rend apte à contempler le monde et ses phénomènes comme des miroirs qui reflètent la beauté d'une réalité permanente. La joie de saisir cette réalité efface toute autre joie aux yeux de celui qui l'éprouve et fait apparaitre toutes les autres choses comme insignifiantes.
Cette vision est d'attirance divine» (djadhibeh) de la gnose, qui attire l'attention de l'homme centré sur Dieu, vers le monde transcendant et éveille l'amour de Dieu en son cœur. Par cette attraction, il oublie toutes les autres choses. Ses multiples désirs et souhaits sont effacés de son esprit. Cette attirance conduit l’homme à l'adoration et à la louange de la divinité invisible, qui en réalité est plus évidente et plus manifeste que tout le visible et l'audible. En fait, c'est la même attraction intérieure qui a amené à l'existence les différentes religions du monde, fondées sur l'adoration de Dieu. Le gnostique (Arif) est celui qui adore Dieu par amour pour Lui, et non pas dans l'espoir d'une récompense ni par peur d'une punition (1).
De ce qui précède, il ressort clairement que nous ne devons pas considérer la gnose comme une religion parmi d'autres. La gnose est une des voies de l'adoration, une voie fondée sur la connaissance mêlée d'amour, plutôt que sur l'espérance et la peur. C'est la voie qui permet de réaliser la vérité intérieure de la religion plutôt que de se contenter de sa forme extérieure et de la pensée rationnelle. Toute religjon révélée et même celles qui apparaissent sous la forme d'une adoration d'idoles, comptent des croyants qui empruntent le sentier de la gnose. Les religions polythéistes, ainsi que le judaisme, le christianisme, le mazdéisme et l’islam, toutes comptent des croyants qui sont des gnostiques.
2- Apparition de la gnose en Islam
Parmi les Compagnons du Prophète (les livres de Ridjâl en ont mentionné environ 12.000), Ali est tout particulièrement connu pour son éloquence dans l'exposition des vérités gnostiques et des étapes de la vie spirituelle. Ses paroles, recèlent un inépuisable trésor de sagesse. Parmi les œuvres qui nous sont parvenues d'autres Compagnons, on a trouvé peu de choses en rapport avec ces questions. Parmi les proches et les disciples d'Ali. Salman al Farsi. Oways Qarani", Kuinayl Ibn Ziyad, Rashid Hadjari", Maytham Tammâr, sont cités par tous les gnostiqucs, aprés Ali.
Après ce groupe, d'autres apparurent, tels que Tâwus Yamani, Malik Ibn Dinar, Ibrahim Adham et Shaqiq Balkhi, considérés par le peuple comme des saints et des hommes de Dieu. Ces hommes, sans parler explicitement de la gnose et du soufisme, se présentèrent cependant comme des ascètes et ne dissimulèrent pas qu'ils avaient été initiés par le groupe précédent et qu'ils avaient suivi une discipline spirituelle sous sa conduite.
Après eux, apparurent à la fin du 2ème/8ème siècle et au début du 3ème/ 9ème siècle, des hommes tels que Bâyazid Bastâmi, Marûf Karkhi, Djunayd Baghdâdi et d'autres qui suivirent la voie gnostique et déclarèrent ouvertement leurs liens avec la gnose et le soufisme. Ils divulguèrent certains enseignements
ésotériques fondés sur la vision spirituelle, lesquels, à cause de leur forme extérieure étrange, appelèrent sur eux la condamnation de quelques juristes et théologiens. Certains d'entre eux furent emprisonnés, torturés et même parfois tués et pendus. Malgré cela, et en dépit de ses adversaires, ce groupe se maintint et poursuivit ses activités. La «voie» (tariqah) continua à se propager jusqu'aux 7ème/13ème et 8ème/14ème siècles où elle atteignit l'apogée de son expansion et de sa puissance. Depuis lors, plus ou moins forte selon les moments, elle a poursuivi son existence dans le monde islamique jusqu'à nos jours.
Il semble que les cheikhs de la gnose, tels que nous les connaissons aujourd'hui, soient d'abord apparus dans le monde sunnite et ensuite parmi les shi'ites. Il faut remarquer que même dans les traités sunnites classiques, on dit parfois que la méthode spirituelle de la «voie» ou que les «techniques» par lesquelles l'on parvient à se connaitre et se réaliser, ne peuvent être expliquées au moyen des formes extérieures et des enseignements de la shari'ah. Ces sources affirment plutôt que certains musulmans ont eux-mêmes découvert plusieurs de ces méthodes et de ces pratiques, lesquelles ont ensuite été acceptées par Dieu, exactement comme c'est le fait dans le monarchisme chrétien (2). Par conséquent, chaque maitre a établi certaines pratiques qu'il a jugées nécessaires à la voie spirituelle,comme par exemple la forme particulière de célébrer la cérémome d'initiation, les détails de la manière selon laquelle une appellation est donnée au nouvel adepte en même temps qu'une robe, l'utilisation de la musique, du chant et d'autres méthodes pour provoquer l'extase pendant l'invocation du Nom divin. Dans certains cas, les pratiques de la Tariqah diffèrent de celles de la shari'ah. Mais, si l'on considère les principes du shi'isme et les sources fondamentales de l'Islam, c'est-à-dire le Coran et la sunnah, on réalise rapidement qu'il est impossible de dire que l'Islam négligerait certains aspects de l'éducation de l'homme ou qu'il exempterait certains de la pratique des obligations et léverait les interdits pour quelques uns.
3- Instructions du Coran et de la Sunnah concernant la connaissance gnostique
Le Dieu Très-Haut, à plusieurs endroits dans le Coran a ordonné à l'homme de réflechir sur le Livre Sacré et de persévérer dans cet effort sans se contenter d'une compréhension superficielle et élémentaire du Livre. Dans plusieurs versets, le monde de la création et tout ce qui s'y trouve, sans nulle exception, est nommé signes (Ayât-s) et symboles du Divin. Un certain degré de réflexion sur le sens de ces signes et de ces merveilles et l'intelligence de leur signification réelle feront comprendre qu'ils sont le signe de quelque chose d'autre qu'eux-même. Par exemple, la vue du feu rouge placé en signe de danger rappelle l'idée du danger de sorte que si l'on commence à penser à la forme et à la qualité ou à la couleur du feu rouge,il n'y aura dans l'esprit que la forme de la lampe, du miroir ou de la couleur, et non le concept de danger. De même si le monde et ses phénomènes sont tous,et sous tous les rapports des signcs et des merveilles de Dieu, Créateur de l'Univers, ils ne possédent aucune indépendance ontologique par eux-mêmes. De quelque manière que nous les regardions, ils ne manifestent rien d'autre que Dieu. Celui qui, grâce à l'enseignement et la direction du Coran, se rend capable de voir le monde et ses habitants avec de tels yeux, ne verra nul autre que Dieu. Au lieu de voir seulement cette beauté empruntée que les autres voient dans l'apparence attrayante du monde,il verra une Beauté Infinie. C'est au moment de la réalisation de cette vérité que l’homme est purifié de son existence separée et que d'un unique élan il place son cœur entre les mains de l'Amour Divin. Il est clair que cette réalisation ne s'accomplit pas à l'aide de l'œil , de l'oreille ou d'un autre sens externe, ni par la puissance de l'imagination ou de la raison, car tous ces instruments sont eux-mêmes des signes et ils sont de peu de signification en ce qui conceme la voie spirituelle ici recherchée (3).
Celui qui a atteint la vision de Dieu et qui n'a d'autre intention que de se souvenir de Dieu et d'oublier tout le reste, lorsqu'il entend Dieu dire dans le Coran: «0 vous qui croyez ! Vous avez la charge de vos propres âmes; celui qui s'égare ne saurait vous nuire si vous restez dans le bon chemin...»(Coran V, 105), comprend que le seul chemin royal qui le guidera parfaitement et complètement est le chemin de la «réalisation de soi». Son véritable guide, qui est Dieu Lui-même, lui enjoint de se connaitre, d'oublier toutes les autres voies et de ne rechercher que la voie de la connaissance de soi, de voir Dieu par la fenêtre de son âme, pour atteindre ainsi l'objet réel de sa recherche. Voilà pourquoi le Prophète a dit: «Celui qui se connait vraiment connait son Seigneur» (4) et il a dit aussi: «Ceux qui parmi vous se connaissent le mieux possèdent la meilleure connaissance de Dieux (5).
Quant à la méthode pour suivre cette voie, il y a plusieurs versets du Coran qui commandent à l’homme de se rappeler de Dieu, comme par exemple quand il dit: «Souvenez-vous de Moi, Je Me souviendrai de vous!» (Coran 11,152).
II est également ordonné à l’homme d'accomplir des actions justes.décrites en détail dans le Coran et les hadiths. En conclusion de cette dcscription des actions justes, Dieu dit: «Vous avez dans l'envoyé de Dieu un beau modèle pour vcms» (Coran XXXIII, 21)
Comment imaginer que l'lslam puisse révéler que la meilleure voie est la voie qui mène à Dieu, sans recommander cette voie à tout le monde ? Ou comment pourrait-il faire savoir qu'une telle voie existe sans expliquer la méthode pour la suivre ? Dieu dit dans le Coran : «Nous t'avons révélé le Coran
comme une explication claire de toute chose» (Coran XVI, 89).
Notes du chapitre V :
1)- Le 6ème Imam a dit: « il y a trois types d'adoration : un groupe adore Dieu par crainte et c'est l'adoration des esclaves; un groupe adore Dieu pour être récompensé et c'est l'adoration des commerçants et un groupe adore Dieu a cause de leur amour et dévotion envers Lui, c'est l'adoration des hommes libres. C'est la meilleure forme d'adoration*, Bihâr al-anwâr, vol.XV, p. 208.
2)- Dieu a dit: «... et le monachisme qu'ils ont instauré - nous ne le leur avons pas prescrit - uniquement dans la quête de l'agrément d'Allah; ils ne l'ont pas observé comme il se devait » (Coran LVII, 27).
3)- Ali a dit: « Dieu n'est pas celui qui peut entrer dans une des catégories de la connaissance. Dieu est Celui qui guide la raison vers Lui», Bihâr al-anwâr, vol.II.p. 186.
4)- Un hadith célèbre repris spécialement dans les œuvres des Soufis et gnostiques connus, shi'ites et sunnites ensemble.
5)- Ce hadith est également trouvé dans beaucoup d'œuvres gnostiques, aussi bien shi'ites que sunnites.