Un seul individu peut-il jouer un si grand rôle?
Pourquoi le Guide n'est-il pas réapparu pendant toute cette longue période, s'il était vraiment déjà formé et préparé à l'action sociale? Qu'est-ce qui l'aurait empêché de réapparaître sur la scène publique pendant ou à la fin de la "Petite Absence", et d'annoncer la "Grande Absence", surtout qu'à cette époque-là, les circonstances relatives à l'action sociale et au changement étaient beaucoup plus faciles et moins complexes, et que ses contacts réels avec les gens lui auraient permis, grâce aux organisations de la "Petite Absence", de rassembler ses bases en vue de commencer solidement son action, à un moment où les forces du pouvoir en place n'avaient pas atteint le niveau auquel est parvenue l'humanité par la suite, grâce au développement scientifique et industriel?
La réponse est que le succès de toute opération de transformation sociale dépend des circonstances et des conditions objectives, et qu'elle ne pourrait réaliser ses objectifs que lorsque celles-ci se présentaient.
Les opérations de transformation sociale que la Providence déclenche sur la terre ont ceci de caractéristique qu'elles ne dépendent pas, quant aux messages qu'elles comportent, des circonstances objectives, et ce parce que leurs messages sont divins et non le fruit desdites circonstances. En revanche leur exécution est subordonnée aux conditions objectives de la situation à changer; c'est dire que celles-ci déterminent leur minutage et leur succès (de ces opérations).
C'est pourquoi, si le Ciel a laissé passer cinq siècles de règne antéislamique et obscurantiste ( jâhillyyah ) avant de révéler son dernier Message à travers le Prophète Muhammad (alors que la terre avait besoin de ce Message bien avant), c'est parce que les circonstances objectives dont dépendait cette révélation exigeaient une telle attente.
Les conditions objectives qui influent sur toute opération de changement sont de deux catégories:
- la première catégorie crée le terrain propice et l'ambiance générale favorisant l'opération de changement,
- la seconde a trait au mouvement de changement et aux tournants secondaires qu'il prend.
Prenons l'exemple de l'opération de changement que Lénine avait conduite avec succès en Russie: elle était liée d'une part au déclenchement de la Première Guerre Mondiale et à l'ébranlement de l'Empire Tsariste - ce qui a contribué à la création du terrain propice au changement - et d'autre part, à quelques facteurs secondaires et accessoires, tels que l'arrivée de Lénine sain et sauf en Russie, après le voyage qui lui a permis de rentrer dans son pays pour y conduire la Révolution.
L'importance secondaire de ce facteur réside en ceci que s'il était arrivé un accident quelconque à Lénine, susceptible de l'empêcher de rentrer en Russie, la Révolution aurait probablement perdu la possibilité de s'imposer aussi vite sur la scène.
La Voie Divine que rien ne peut affecter, quant aux opérations de changement qu'Elle décide, veut que celles-ci soient tributaires, quant à leur exécution, des conditions objectives qui créent le terrain propice et l'ambiance générale qui favorisent leur succès.
C'est dans ce sens qu'il faut comprendre pourquoi l'Islam ne fut révélé qu'après une période de vide pénible, longue de plusieurs siècles et caractérisée par l'absence d'apôtres.
Certes la Toute- Puissance Divine était en mesure d'enlever toutes les entraves et d'aplanir toutes les difficultés qui se seraient dressées devant le Message, de lui créer préalablement et miraculeusement le terrain favorable nécessaire à son succès, s'il avait été révélé avant.
Mais si Dieu n'a pas jugé bon d'utiliser ce moyen, c'est parce que l'épreuve, le calvaire et la souffrance par lesquels l'homme complète sa personnalité imposent à l'action de changement (voulue par Dieu) d'évoluer naturellement et objectivement (ce qui n'empêche pas Dieu d'intervenir parfois et lorsque cela s'avère nécessaire pour la sauvegarde du Message, dans quelques détails relatifs, non à l'atmosphère générale elle-même, mais à certains mouvements qui en découlent).
L' illustration de cette intervention se trouve dans le secours et l'appui surnaturels que Dieu apportait quelquefois à ses bons serviteurs, lorsqu'ils se heurtaient à des difficultés insurmontables, et lorsqu'il y allait de l'intérêt vital du Message.
Ainsi, c'est grâce à l'intervention divine que " le feu de Namroud devint fraîcheur et paix sur Abraham "; que la main traîtresse du Juif qui levait l'épée sur la tête du Prophète, fut paralysée et immobilisée, que le cyclone violent envahit les campements des infidèles et des polythéistes qui encerclaient Médine le jour de Khandaq, et les effraya.
Toutes ces interventions divines ne représentaient que des secours apportés à des moments décisifs, aux péripéties des opérations de changement et non à leur terrain propice, lequel s'est constitué d'une façon naturelle et grâce aux conditions objectives.
En examinant l'attitude d'Al-Mahdî, à la lumière de ces données, nous constatons que l'opération de changement à laquelle il est préparé, se trouve liée, quant à son exécution, tout comme n'importe quelle autre opération de changement social, à des conditions objectives qui contribuent à créer le terrain favorable à sa réalisation.
Aussi est-il naturel que le minutage de cette opération en tienne compte. On sait qu'al-Mahdî n'est pas formé pour opérer une action sociale limitée, ni pour réaliser un changement local dans telle ou telle autre partie du monde.
La mission à laquelle Dieu l'a réservé vise à changer le monde radicalement et à conduire l'humanité, toute l'humanité, des ténèbres de l'injustice vers la lumière de la justice. Pour réussir une opération de changement d'une telle ampleur, il ne suffit pas de faire réapparaître le Guide et Son Message sur la scène; autrement elle aurait pu être accomplie à l'époque du Prophète (puisqu'il y avait déjà un Guide - le Prophète - et son Message - l'avènement de l'Islam).
Ce qu'il Lui faut, c'est un climat planétaire propice et une ambiance générale favorisant la réunion des conditions requises pour la réalisation d'un changement universel. Or un tel climat planétaire se présenterait mieux à mesure que l'on progresse dans le temps.
Ainsi, sur le plan humain, le sentiment d'épuisement qu'éprouve l'homme de civilisation est considéré comme un facteur essentiel de cette atmosphère favorable à l'acceptation du Nouveau Message. Ce sentiment d'épuisement naît et prend racine chez l'homme (de civilisation), lorsque celui-ci ressort de différentes expériences de civilisation qu'il traverse, accablé par les résultats négatifs de tout ce qu'il y aurait édifié, et éprouvant un besoin de salut qui l'amène à se tourner instinctivement vers la métaphysique ou l'inconnu.
Sur le plan matériel, les conditions objectives de la vie matérielle moderne pourraient être plus propices que celles de l'époque de la "Petite Absence", à la réalisation du message à l'échelle planétaire, en raison du raccourcissement des distances, de la large possibilité d'interaction entre les peuples, de la disponibilité des moyens et des instruments nécessaires à la création d'un organe central dont le but serait de sensibiliser les peuples du monde au nouveau message et de les imprégner de la culture de ce message.
Certes, il est indéniable que les forces et les instruments militaires auxquels le Guide devrait faire face, se développent à mesure qu'il reporte le jour de sa réapparition. Mais cela dit, à quoi sert le développement de la forme matérielle de la force, s'il est associé à une défaite psychologique intérieure et à l'éclatement de la structure spirituelle de l'homme qui les possède?
Combien de fois une structure de civilisation dressée orgueilleusement, ne s'était-elle pas écroulée sous le premier coup d'un envahisseur, parce qu'elle était déjà intérieurement effondrée, ayant perdu la confiance en son existence, la conviction de son entité et l'assurance de sa réalité?!
Un seul individu peut-il jouer un si grand rôle?
Venons-en à l'avant-dernière question de la série: un individu, si grand soit-il, est-il capable de jouer ce rôle extraordinaire?
Le grand homme en question serait-il autre que l'individu que les circonstances choisissent comme façade pour réaliser leur mouvement?
L'idée que comporte cette question est liée à une conception précise de l'histoire, conception selon laquelle l'homme est un facteur secondaire dans l'histoire alors que les forces objectives qui l'entourent en constituent le facteur essentiel.
Dans ces conditions, l'individu ne serait, au mieux, que l'expression intelligente de l'orientation de ce facteur essentiel.
Quant à nous, nous avons expliqué dans nos autres ouvrages que l'histoire a deux pôles: d'un côté l'homme, de l'autre, les forces matérielles qui l'entourent, que de même que les forces matérielles, les conditions de la production et la nature affectent l'homme, de même celui-ci affecte à son tour celles-là, et qu'il n'y a aucune raison de supposer que le mouvement commence par la matière et finis par l'homme, sans supposer du même coup le contraire. L'homme et la matière se trouvent à la longue en interaction.
Aussi l'homme peut-il être plus qu'un perroquet dans le cours de l'histoire, surtout lorsqu'on tient compte de son lien avec le Ciel, lequel lien intervient comme une force orientant le mouvement de l'histoire.
C'est du moins ce qui s'est produit déjà à travers l'histoire des Missions Prophétiques en général, la Mission prophétique finale en particulier, où le Messager Muhammad, en vertu de son lien de missionnaire avec le Ciel, a détenu lui-même les rênes du mouvement historique, et effectué une montée de civilisation que les conditions objectives qui l'entouraient n'auraient pu en aucun cas réaliser, comme nous l'avons expliqué dans la seconde introduction de notre ouvrage " Al-Fatâwâ al-Wâdhi-hah " (Les Décrets Religieux Clairs).
Ce qui s'est produit avec le Grand Messager, pourra se reproduire avec son descendant, le Guide Attendu dont il a annoncé, lui-même, la venue et le grand rôle.
Quelle sera la Méthode de Changement le Jour Promis ?
Nous voilà enfin devant la dernière question de la série: de quelle façon ce représentant de Dieu pourra-t-il remporter la victoire décisive de la justice sur les entités injustes?
Une réponse précise à cette question dépendrait de la connaissance de la période ou de la phase historique où l'Imam al-Mahdî réapparaîtra sur la scène de la vie, et de la possibilité de concevoir ou de supposer les caractéristiques et les péripéties de cette phase, afin que l'on puisse se faire une idée de la forme que prendrait l'opération de changement et de la voie qu'elle emprunterait. Tant que nous ignorons tout de cette phase, de ses circonstances et péripéties, nous ne pourrons prévoir scientifiquement ce qui se passerait le Jour Promis; et si nous le faisons, ce serait de la spéculation qui repose plutôt sur des opérations purement intellectuelles que sur des fondements réels et concrets.
La seule supposition qu'on puisse admettre à la lumière des hadîths relatifs à ce sujet, et des expériences de grandes opérations de changement qui se sont produites à travers l'histoire, c'est celle selon laquelle Al-Mahdî réapparaîtrait à la suite d'un grand vide dû à un revers et à une crise aiguë de civilisation, que l'humanité subirait.
C'est ce vide-là qui permettra au nouveau Message de voir le jour; et c'est ce revers qui créerait l'ambiance (ou le terrain) propice à son acceptation. Mais le revers en question ne se produirait pas accidentellement par un pur hasard de l'histoire de la civilisation humaine.
Il serait plutôt le résultat naturel des contradictions historiques (dans lesquelles il n'y aurait pas d'Intervention Divine) qui, ne pouvant pas conduire à une solution décisive, déclencheraient le feu qui anéantirait tout, avant que ne jaillisse la lumière qui permettrait d'éteindre ce feu et d'établir la Justice céleste sur la terre.
Je me contente de ce bref exposé des idées qui sont détaillées dans l'ouvrage méritoire et encyclopédique sur Al-Mahdî, ouvrage pour lequel j'ai rédigé cette préface et qui est écrit par l'un de nos chers fils et disciples, le savant chercheur, Sayyed Muhammad al-Sadr (30) . Il s'agit d'une encyclopédie inégalée dans l'histoire de la bibliographie chiite sur "Al-Mahdî", quant à son intégralité, aux connaissances étendues qu'elle renferme, à la largeur d' esprit, et la longue haleine scientifique dont elle témoigne, et quant aux mots adéquats et aux observations pertinentes qu'elle contient; c'est dire combien d'efforts louables l'auteur a déployés pour réaliser cette ouvre unique en son genre. Je ne peux qu'être comblé de bonheur en pensant au vide que son ouvrage remplira, au service inestimable qu'il rendra et à l'auteur brillant et intelligent qu'il révélera.
J'implore Dieu de me donner le plaisir de voir celui-ci devenir l'une des célébrités de l'Islam.
Louange à Dieu, Seigneur des mondes.
Que le Salut soit à Mohammad et aux Membres purifiés de sa Famille.
J'ai commencé la rédaction de ces quelques pages le 13 Jamâd al-Thâniyah 1397 de l'Hégire, et je l'ai terminée l'après-midi du 17 du même mois.
Que Dieu me guide sur le Droit Chemin.