Les guerres et les batailles islamiques que menait le Prophète constituent une concrétisation vivante et un portrait fidèle de la pensée islamique. Elles ne s'en sont différées, ni ne se sont écartées de sa grande ligne ni de près ni de loin. Car on peut remarquer qu'elles ne se déroulaient que dans deux cas:
1- Le cas de la guerre préventive qui visait à affaiblir la force tyrannique du polythéisme, de l'athéisme et de l'égarement, pour l'empêcher de s'ériger en une force de destruction de la foi et de la vie.
2- Le cas de la guerre défensive par laquelle l'Islam se protégeait contre les assauts des forces de l'athéisme et du polythéisme, ou obligeait les infidèles et les polythéistes à respecter leurs engagements et leurs contrats.
De toutes les batailles et les guerres du Prophète, aucune n'avait d'autre objectif. C'est ce qui fait qu'il y a là une parfaite harmonie entre la pensée et la pratique, entre la théorie et l'application, que ce soit dans les détails ou dans l'ensemble. Peut-être pourrions-nous com. prendre ce sujet avec plus de clarté en exposant rapidement les raisons et les motifs qui ont poussé le Prophète Muhammad à déclarer la guerre aux polythéistes et aux autres.
Le premier de ces affrontements était l'accrochage entre l'escadron d'Abdullah Ibn Jahch et les Quraich au mois de Jamad al-Akhara, deux mois avant la Bataille de Badr (en Rajab, selon d'autres). Dans cet incident, les Musulmans ont intercepté les caravanes des Quraich, venues de Damas et dirigées par Abi Soufiyan. Ce qui justifie cette attaque, c'est l'état de guerre entre les Musulmans et les infidèles de Quraich à La Mecque. Une telle action qui n'avait pas un caractère belliqueux et ne visait qu'à obtenir des renseignements sur l'ennemi qui avait multiplié les agressions contre les Musulmans, n'a rien de gênant et de mal.
De nos jours, le blocus économique est une mesure légitime à laquelle recourent souvent des belligérants. Rappelons que l'action des Musulmans avait un caractère de représailles et visait à rendre la pareille. Quant aux autres razzias du Messager, elles avaient pour cause, soit un manquement à un engagement pris, comme c'était le cas avec les Juifs de Bani Qinq'a à Médine, ou avec les polythéistes de Quraich lorsqu'ils avaient failli à leurs engagements de la "Réconciliation de Hudaibiya", soit la nécessité d'une riposte à une agression, comme c'est le cas lors de la razzia d'Uhod et de celle d'al-Khandaq, ou d'une mesure de prévention' comme c'est le cas avec les Romains et les Perses, où l'Islam s'était senti entouré de tous les loups de la terre, qui guettaient l'occasion propice pour se jeter sur lui et déraciner ses fondements dans sa propre maison, et c'est ce qu'ils ont commencé à faire effectivement, lorsque Cyrus, le plus grand chef des Perses dépêcha des agents pour lui apporter la tête du Prophète, et lorsque Hercule le plus grand des Romains assassina quelques-uns de ses gouverneurs qui s'étaient convertis à l'Islam à Damas, ses gouverneurs qui s'étaient convertis à l'Islam à Damas.(1)
Ainsi, dans la vie islamique, les guerres ont été déclenchées dans le cadre de ces deux objectifs. Les conquêtes islamiques visaient initialement à libérer l'homme de la servitude des forces tyranniques qui l'exploitaient, de la pression des conditions exceptionnelles qui l'entouraient, des atmosphères ténébreuses dans lesquelles il s'assombrissait, et à lui donner le moyen de vivre avec les conceptions, les législations et la pensée islamiques originales dans lesquelles le "gouverné" est au gouvernant ce que l'homme est à son semblable et où tous deux, chacun selon sa position et ses possibilités, participent à la responsabilité de la réalisation de la justice sur la terre, sans qu'il y règne aucun sentiment de subir ou de faire subir la servitude et la domination d'une force tyrannique.
S'il y avait dans ces conquêtes quelques bavures et aberrations de tous genres - ce qui est naturel dans toute conquête humaine - elles étaient les conséquences inévitables de la déviation du régime islamique de sa ligne authentique et n'avaient rien à voir avec la pensée, la conception, la législation et la pratique du vrai Islam.
De telles déviations sont liées à des personnages qui interpréteraient mal la législation de l'Islam lorsqu'ils accèdent illicitement et par la force au poste de commandement; par conséquent, leurs conduites n'acquièrent aucune légitimité islamique, mais pourraient traduire pertinemment cette boutade lancée par certains européens: «L'Islam est une chose, les Musulmans en sont une autre».
Néanmoins, ce qui était arrivé pendant certaines phases de l'histoire islamique, n'a pas empêché Gustave Lepont de dire: «L'Histoire n'a pas connu un conquérant plus clément et plus juste que les Arabes».
Il n'est pas difficile de trouver dans les législations islamiques relatives aux prescriptions destinées aux combattants et aux militants missionnaires du mouvement du Jihad islamique, quelques exemples significatifs sur la conception islamique de la violence. Ils montrent clairement que lorsque l'Islam opte pour le combat, ce n'est point par un tempérament rancunier, et lorsqu'il recourt à la violence, il est loin de vouloir se servir d'un moyen "méchant" pour atteindre un objectif méchant. La violence qu'il préconise a un caractère missionnaire, c'est dire qu'il n'opte pour le combat que dans le cadre du Message, de ses contextes et de ses nécessités. Si le combat s'écarte de ce cadre ou si le Message peut se passer-du combat, il s'en éloigne et suit la voie de la paix tant que cela est possible.
Ainsi, nous pouvons voir comment les directives du Prophète aux combattants. recommandaient à ceux-ci d'avoir, dans la mesure du possible, une conduite exempte de toute nature rancunière, de tout esprit de destruction et de tout état émotionnel pendant la guerre, afin qu'ils ne s'éloignent pas de leur but et de leur Message. Selon un hadith de l'Imam Ja'far al-Sadiq:
«Lorsque le Messager de Dieu voulait expédier un escadron de soldats quelque part, il l'invitait et le faisait s'asseoir près de lui et disait aux combattants: conduisez-vous au nom de Dieu, par Dieu, dans le sentier de Dieu et selon la religion du Messager de Dieu. Ne soyez pas rancuniers, ne profanez pas les cadavres, n'assassinez pas lâchement, ne tuez pas un vieillard désarmé ni un enfant, ni une femme. N'arrachez un arbre que si vous y êtes obligés.
Si un fidèle - qu'il soit le moins gradé ou le plus gradé des combattants musulmans - suggérait, par ses regards, la paix à un polythéiste, il devrait le traiter en voisin(2) jusqu'à ce qu'il entende la parole de Dieu. S'il acceptait de vous suivre, il serait votre frère de religion, et s'il le refusait, amenez-le, sain et sauf, là où il se sent en sûreté».(3)
Selon le hadith de l'Imam Ali: «Le Messager a interdit que l'on jette le poison dans le pays des polythéistes».(4)
Dans ces directives du Prophète, nous voyons la ligne islamique humaine qui préconise au combattant de rester fidèle aux valeurs morales et humanitaires aussi bien pendant la guerre que pendant la paix. Car, le lien de l'homme avec les valeurs n'est pas accidentel et imposé par les circonstances, mais c'est un lien constant et indispensable, imposé par la foi et exigé par la vie.
Ainsi, si la guerre était imposée par des circonstances exceptionnelles d'une situation donnée, nous devons alléger ses fardeaux et ses pertes en vies humaines, afin que son bilan se limite au minimum inévitable; pour cela le combattant doit contenir ses émotions et ses penchants provoqués par les haines et les douleurs de la guerre qui - dans certains moments difficiles - le transformeraient en une entité explosive et destructrice incapable de raisonner et mue par ses instincts qui tendent à détruire tout ce qu'ils rencontrent de l'ennemi, même les personnes qui ne se battent pas, ou qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se battre, et même les autres choses qui n'ont rien à voir avec la guerre.
Dans certains cas, nous rencontrons des attitudes où prévaut un désir d'hésiter et de tergiverser devant la guerre, dans l'espoir de l'éviter, de se débarrasser des climats de combat, et de favoriser l'esprit de paix qui pourrait s'imposer à la situation du contact du droit chemin, du haq et du bien; c'est ce qu'on trouve dans l'attitude de l'Imam Ali pendant la Bataille de Saffine, lorsqu'il tarda à donner à ses compagnons la permission de combattre.
Ceux-ci se demandaient, en effet, si son attitude ne découlait pas d'un état accidentel de lâcheté dû à la peur de la mort ou au fait de ne pas pouvoir déterminer clairement (dans sa position vis-à-vis des gens de Damas) ce qui était juste et ce qui était faux, et d'être par conséquent sceptique quant à la réalité des combattants de Damas et de leur direction. Mais la réponse de l'Imam à ces interrogations, nous est rapportée par al-Charif al-Radhi dans "Nahj al-Balagha". Elle nous explique le programme islamique concernant la question de la guerre et de la paix dans la pensée et la pratique de l'Islam, et réfute par là même les allégations de ses détracteurs:
«Quant à votre dire que "c'était par peur de la mort", j'y réponds: par Dieu je ne m'inquiète pas si je vais vers la mort ou si celle-ci vient vers moi. En ce qui concerne votre dire qu'il(5) était sceptique sur les gens de Damas, j'y réponds: par Dieu, je n'ai fait la guerre que parce que j'aspirai à ramener un groupe d'hommes au droit chemin que je suis moi-même et à les attirer vers ma lumière; car je préfère cela plutôt que de les combattre pour leur égarement, même s'ils étaient imprégnés de péchés».(6)
Ce n'est pas par un excès de zèle qu'il fait la guerre, mais par une nécessité qu'il n'aime pas. Il la repousse comme il repousse tout ce qui lui est imposé. S'il la rencontre, il le fait sans aucun enthousiasme personnel, tout en l'engageant avec la même ardeur qu'il éprouve pour la cause qui l'y pousse; c'est dire qu'il s'intéresse à la guerre dans la mesure où la cause qu'il défend le lui exige, et il s'en détache dès qu'elle cesse de concerner cette cause. Ce n'est pas une guerre chevaleresque provoquée par le tempérament, mais une guerre de devoir que le Message impose et à laquelle incite la vie pour défendre la vie.
Cette position sublime découle sans doute de celle du Prophète et qu'on évoque dans certains livres de hadith: il y est dit, en effet, que chaque fois que le Prophète dépêchait une expédition, il disait aux combattants: «Familiarisez-vous avec les gens et soyez patients avec eux. Ne les attaquez pas avant de les avoir appelés à la raison. Car je préfère que vous fassiez convertir à l'Islam tous les habitants de la terre - ceux des maisons d'argile aussi bien que ceux qui dorment sous des tentes de poil - plutôt que de les tuer et de capturer leurs fils et leurs femmes».(7)
Nous rencontrons l'idée islamique de la guerre dans les nobles versets qui demandent aux Musulmans de répondre positivement à l'appel de la paix qui leur est adressé, si cet appel représente une position pratique qui s'approche de la cause du Message et résout les problèmes qui ont provoqué et déclenché la guerre; car le refus de la paix et la continuation de la guerre dans ce cas, éloigne le combat de son objectif, et en fait une action individuelle, liée moins à la pensée islamique qu'à une position personnelle, et cela lui fait perdre sa moralité qui justifiait son existence et sa législation en Islam, et la transforme en une guerre jahilite(8) et immorale. Dieu a dit:
«S'ils inclinent à In paix, fais de même, confie-toi à Dieu». (Coran VIII, 61).
«O vous qui croyez, entrez tous dans la paix; ne suivez pas les traces du Démon: il est votre ennemi déclaré». (Coran II, 208)
«S'ils se tiennent à l'écart, s'ils ne combattent pas contre vous, s'ils vous offrent la paix, Dieu ne vous donne plus alors aucune raison de lutter contre eux». (Coran IV, 90).
Nous comprenons de ces versets qu'il est du devoir des Musulmans d'accepter les appels de la paix, lancés par les adversaires pour mettre fin à la guerre sur des bases qui concordent avec les intérêts généraux des Musulmans et les objectifs pour lesquels la guerre a été déclenchée, à savoir: arrêter l'agression ou la repousser, soit en obligeant les agresseurs à se convertir à l'Islam, soit en concluant des traités avec eux, soit en leur faisant accepter des obligations financières qu'impose la législation islamique pour la coexistence pacifique entre les religions dans le cadre des conditions et des lois précises.
En fermant ce chapitre, nous serons déjà parvenus à une conclusion décisive qui souligne la moralité de la guerre en Islam, moralité fondée sur le principe de "l'importance" qui puise sa légitimité de la loi de la concurrence entre le Bien et le Mal, c'est-à-dire entre les bonnes actions et les actions corruptrices auxquelles sont soumises les lois législatives...
car nous savons que Dieu ne prescrit que la bonne action, et n'interdit que la mauvaise action, et que lorsque les bonnes actions et les mauvaises actions se rencontrent et rivalisent autour d'un même sujet, celui-ci ne serait ni tout à fait une mauvaise action ni tout à fait une bonne action, mais tient de celle-ci et de celle-là, et c'est la plus victorieuse et la plus influente d'entre les deux qui aura le dernier mot: car aussi bien la bonne action que la mauvaise action n'auront pas plus d'effet lorsqu'elles seront vaincues... le haq(9) se maintiendra du côté de l'intérêt suprême de l'homme et de la vie.
A la lumière de ce qui précède, l'Islam légitime la guerre tant qu'il s'agit de défendre de nobles objectifs qui la justifient, et justifie son mouvement, son évolution et son intensification, et la rejette dès que ces nobles objectifs cèdent la place à des objectifs égocentriques, perfides et à des motifs maladifs et des intérêts personnels. C'est ce que le Prophète a exprimé en définissant dans un hadith, le sentier de Dieu dans la guerre: selon ce hadith un homme demanda au Prophète Muhammad;
«L'homme se bat soit pour un butin, soit pour la renommée, soit pour se faire remarquer; lequel parmi ces trois objectifs est le sentier de Dieu?». Le Prophète répondit: «Celui qui se bat pour que le mot de Dieu soit le plus élevé, se bat dans le sentier de Dieu».(10)
Notes :
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1- «Les traces de la guerre dans la jurisprudence (Fiqh) islamique», Wahbat al-Zahili, page 104. Pour plus de détails, voir notre livre "Le procédé de l'appel islamique dans le Coran", chapitre: «Les guerres et les razzias du Prophète».
2- L'Islam recommande au fidèle de traiter le voisin avec beaucoup d'égards.
3- "Wagail al-Shi'a", Tome II, page 43
4- Ibid, page 46
5- C'est-à-dire l'Imam Ali lui-même.
6- "Nahj al-Balagha", page 91
7- "Charh al-Sayr al-Kabir", Tome I, page 59
8- De caractère antéislamique
9- Le bon droit
10- "Nayl al-Awtar", Tome VII, page 214