Par : SADIQE MAHDAVI KANI
La relation entre la morale et le droit islamique
Introduction :
Dès lors que la vie des hommes s'est constituée sous forme de société basée sur des relations entre individus, celle-ci fut contrainte d'accepter une série des principes moraux qui, au passage du temps, devinrent les fondements des lois et des droits. La raison et les dispositions innées ne suffisent pas à l'homme pour guider l'humanité vers son bonheur ni inventer des lois convenables pouvant l'y mener. C'est seulement les lois divines émanant de la volonté de Dieu, le Maître de l'existence, qui peuvent satisfaire ce besoin de l'humanité.
Toute chose venue à l'existence doit obéir aux commandements de Dieu, car c'est l'unique voie pouvant mener vers le bonheur et la perfection. Si l'homme croit que c'est Dieu qui dirige tout et crée les lois qui régissent les rapports entre individus, et qu'il est du devoir de l'homme d'obéir à Ses lois, Dieu veillera sur lui dans toutes les situations : " Certes oui, ton Seigneur demeure aux aguets". [L'aube : 14] C'est ainsi qu'il verra de merveilleux changements s'introduire dans sa vie sociale de manière à goutter au bonheur en menant une vie intéressante ici bas par la grâce de Dieu en plus de la récompense qui l'attend dans l'autre vie : " Quiconque, male ou femelle, fait œuvre bonne tandis qu'il est croyant, alors très certainement Nous lui ferons vivre une excellente vie. Et très certainement Nous les paierons des meilleurs de leurs actions." [Les abeilles: 97]
Le système régnant dans les lois islamiques également repose sur le principe de l'unité; il n'obtient de légitimité que par la considération divine. Partant, sur quoi se fondent les lois divines ? Quelle est leur base essentielle? Le système juridique, social, etc..., de l'islam sur quelle réalité repose t-ils ? Existe-t-elle réellement une relation entre le système juridique islamique et la morale ? Ce sont là des questions auxquelles nous essayerons de répondre tout au long de notre exposé.
Définition de la morale
Akhlaq est le pluriel du mot arabe khulq qui veut dire comportement et conduite intérieure, en d'autres mots habitude ou disposition innée. Les philosophes et les moralistes avaient défini ce terme de façon à ne pas couper le lien qui l'attache à son sens littéral.
Ces derniers étaient persuadés que la morale constitue la clé du bonheur et la perfection de l'homme; elle est le capital qu'il doit investir pour atteindre la perfection aussi matérielle que spirituelle. La morale est l'action qui permet à l'homme, par la prise de conscience de ses instincts et de ses impulsions, de les orienter vers des objectifs sublimes d'une façon générale. (Mahdawi Kani, 23) La morale a pour objectif de protéger l'homme contre les erreurs de conduite ainsi que de lui expliquer la meilleure façon de se comporter afin de créer une société harmonieuse encline au bonheur, à la justice, à la sécurité, à la solidarité et à la collaboration.
A présent, il nous reste à considérer laquelle des opinions des érudits musulmans est la meilleure et à partir de quelle source pouvant être compatible avec le système juridique de l'islam. Est-ce que tout ce qui est ordonné dans la législation islamique est bon et tout ce qui est prohibé est mauvais ? Est-ce parce que la vertu est vertu et le vice est vice que la législation islamique a approuvé la vertu et désapprouvé le vice ?
Pour répondre à ces questions il nous faudra examiner un à un les points de vue de différents érudits musulmans qui se séparent en deux catégories. Il y a d'une part ceux qui pensent que le beau et le laid sont rationnels, la législation divine ne faisant qu'entériner le jugement de la raison, tandis que d'autre part il y a ceux qui sont d'avis que le beau et le laid son déterminés par la loi divine la raison qu'obéir à ce que Dieu a décrété.
Selon le premier point de vue, le droit et l'ayant-droit existent en tant qu'une seule réalité avant même que la loi sacrée ne puisse les entériner,car l'islam a arrangé les choses de manière à ce que chaque droit revienne à un ayant-droit. Selon le second oint de vue, la justice et l'injustice n'ont pas d'existence sinon celle que la loi divine veut bien leur donner. C'est ainsi que, suivant le premier point de vue le droit, la justice, la vertu ainsi que d'autres valeurs morales ont une existence concrète alors que ce n'est pas le cas suivant le deuxième point de vue. Le saint Coran a stigmatisé les gens de la seconde catégorie en ces termes : "
Quand ils commettent une turpitude, ils : "Nous y avons trouvé nos ancêtres; et c'est Dieu qui nous l'a commandé."- Dis : "Non, Dieu ne commande pas la turpitude.
Direz-vous contre Dieu ce que vous ne savez pas? " [Les limbes : 28-29]
Ce verset veut dire que certaines sont essentiellement laides selon l'entendement avant que la législation divine ne puisse ordonner le bien ni interdire le blâmable.
"Si nous parvenons à prouver que les préceptes islamiques dépendent du beau et du laid en tant que réalités concrètes, que les vertus et les vices existent réellement et que l'islam les reconnaît comme tels, nous pouvons appréhender des principes de base qui auront pour origine lesdites réalités" ( Motahari, p.21-34).
Le système juridique islamique non plus ne fait pas exception à cette règle, toutes ses lois étant fondées sur les réalités du monde de l'existence, réalités de l'homme, les avantages et désavantages existant en direction de la perfection recherchée. Partant, les règles juridiques islamiques auront une double essence, une essence abstraite et une essence réelle. En conclusion, les règles lois islamiques abstraites référent aux réalités existantes. (Khosroshahi, 63-64)
Les lois abstraites sont précieuses en ce sens qu'elles référent aux réalités concrètes que l'on finit par découvrir. Et si nous parvenons à prouver que les lois islamiques se fondent sur la morale en tant qu'une réalité concrète et non une abstraction issue de la législation, elles auront davantage de valeur et de considération.
La relation existant entre le droit et la morale
Le droit et la morale sont tous deux des sciences normatives en ce sens qu'elles réglementent les actions volontaires de l'homme; tous deux concourent à la perfection tant spirituelle que matérielle, ainsi qu'à l'ordre et à la sécurité de la société des hommes tout en visant uniquement leur bonheur et leur salut.
Dès lors que les objectifs du droit se prennent appui sur les objectifs moraux, ceci aura pour effet de donner forme à ne autre société nettement distinguée de toutes les autres. Le système juridique islamique émanant de la volonté de Dieu dont les actes se fondent sur la justice et l'équité ne peut donner naissance à des lois qui manquent d'impliquer sa relation avec la morale. Partant, un tel système implique le bonheur et la vertu de tous les individus de la société tout en sauvegardant la dignité et la magnificence de la personnalité par la définition qu'il donne du bonheur individuel autant que communautaire.
Dans ce chapitre nous voulons prouver que les questions juridiques se fondent sur la morale en ce sens que les vertus et les vices moraux existent concrètement, ainsi que le beau et le laid sont immuables. Vraisemblablement, il existe une certaine divergence à ce sujet dans les théories produites par diverses sociétés quant à la façon de déterminer le beau et le laid en ce sens que certaines qualités vertueuses peuvent paraître telles quelles suivant telle opinion alors qu'elles paraîtront vicieuses suivant telle autre. Toutefois, dans la nécessité d'adhérer aux principes et aux branches des vertus et de s'éloigner des vices il n'y a aucune différence, car toutes les divergences se situent au niveau de l'application des concepts aux critères. (Allamé Tabataba?) A ce propos, il existe deux types d'opinion.
Depuis les temps reculés, certaines personnes croyaient à la séparation réelle entre les principes moraux et les principes juridiques suivant la division de la philosophie faite par Aristote le philosophe grec. Et ce dernier avait divisé la philosophie en morale, l'épargne et l'administration de la cité (politique). L'épargne et l'administration de la cité sont des principes fondamentaux de ressort juridique, tandis que la morale explique comment atteindre le bonheur et le salut (Dupaquet, 136). Cependant, il s'avère que la division logique faite par Aristote était due à la séparation qui existe entre la morale et le droit et parce qu'il voulait expliquer la nature de cette relation.
Dans les siècles passés, notamment au 18ème siècle, la théorie de la séparation entre le droit et la morale avait eu extrêmement des partisans qui s'étaient particulièrement intéressés au droit privé en disant que la morale l'homme en tant qu'individu pour lui procurer le calme intérieur, tandis que le droit régissait la société toute entière pour réglementer les rapports entre particuliers.
Kant, le philosophe allemand, a contribué plus que quiconque dans la séparation entre le droit et la morale. Des années durant, cette théorie fut le principe de base des juristes européens. Selon Kant, l'action morale est celle qui a pour origine une bonne intention. Par conséquent, quiconque accomplirait une bonne action par pénitence pratique n'aurait pour autant pas accompli une action morale, car l'essentiel étant de s'acquitter de son devoir en se conformant à la loi (Le silencieux- 450). Kant croyait qu'il existait entre l'action accomplie en tant que devoir et celle qui est accomplie pour s'acquitter d'un devoir ; cette dernière aura plus de valeur sur le plan de la morale. Prenons l'exemple d'un homme qui tirerait du plaisir en aidant les autres n'accomplirait pas une action morale, car c'est le plaisir ressenti qui est le moteur.
Quoique dans la doctrine musulmane également l'intention précède l'action, toutefois, la théorie kantienne demeure matière à débat, car ni la morale n'est indifférente des conséquences issues des actions posées ni le droit ne l'est vis-à-vis de la façon dont les intentions sont formulées. Tel que le code pénal islamique qui entérine la loi du talion sur le cas d'un homicide volontaire alors qu'il ne l'entérine pas en cas d'homicide involontaire tout en proposant une alternative : "
Quiconque intentionnellement tue un croyant, sa récompense alors est la géhenne, d'y demeurer éternellement. Et sur lui la colère de Dieu, ainsi que Sa malédiction, tandis qu'Il lui a préparé u énorme châtiment. " [Les Femmes : 93]
Il en est de même pour le cas des contrats et des transactions où l'intention constitue la condition sin que none de leur validité. C'est ainsi que la morale ne concerne pas l'homme en tant qu'individu, mais plutôt, comme le droit, elle définit les obligations de l'homme vis-à-vis de sa personne, de la société et de Dieu. L'homme ne peut demeurer indifférent en ignorant le monde qui l'entoure ni n'être indifférent à la joie et la tristesse des autres.
Certains pensent que si le droit (la loi) vise la morale son application sera facile, car la plupart des lois, spécifiquement divines, qui émanent aussi bien de la révélation, de la conscience que de la raison sont fondées sur les principes moraux et visent la morale.
Dans son ouvrage "La règle morale dans les engagements civils " qui lui valut le meilleur prix littéraire de l'académie française, Ripper, l'homme de droit français, pense que la morale ne doit uniquement être considérée comme l'un des fondements du droit. La loi morale est à la fois le facteur principal créateur et la force orienteuse du droit tout en étant capable de le détruire à tout moment. Il croit que la morale se promène au sein du droit positif autant qu'elle se promène dans le corps humain (Katozian - 410).
Les érudits musulmans également sont d'avis que toutes les lois divines englobent les questions morales, toutefois, la divergence existe au niveau de considérer si la morale est le fondement du droit ou en-t-elle l'objectif ? Comment chacun de ces deux groupes conçoit-il la morale ? Avant de répondre à cette question il sera important de citer quelques théories pour mieux éclairer le sujet.
a- La différence entre le fondement et l'objectif du droit
L'objet du droit n'est une ni obligation ni une interdiction. Quoique la matérialisation de l'objet du droit ne soit pas une obligation, néanmoins son accomplissement est meilleur. Le fondement du droit par rapport aux objectifs, veut dire que son observance est indispensable, c'est-à-dire que son accomplissement est une obligation et son abandon est une prohibition (Jawad Amoli /131).
b- Division de la morale
1° La morale psychologique ou les instincts et la faculté psychologique, les qualités intérieures et spirituelles ainsi que les attractions génésiques (les tendances naturelles).
2° La morale pratique est l'ensemble des actes qui émanent de cette nature intérieure ainsi que la capacité de supporter les difficultés telle la bravoure en tant que concept relève de la morale psychologique alors que du point de vue comportement elle relève de la morale pratique. Les deux catégories susmentionnées s'affectent réciproquement. Influencées par les instincts et les habitudes contractées, les actions morales de l'homme à leur tour influencent les qualités psychologiques.
S'agissant de la question posée ci-haut deux points de vue différents y répondent. Certains sont convaincus que les actes moraux approuvés et non approuvés font tous partie des objectifs du droit et en constituent le soubassement. L'affection, la charité et l'altruisme, par exemple, font partie des objectif du droit parce que l'on est pas obligé de les accomplir, toutefois, ces valeurs morales constituent, vis-à-vis de la justice, des fondements juridiques dont l'accomplissement devient obligatoire et l'abandon non seulement non approuvé mais prohibé. Les partisans de cette théorie justifie le bien-fondé de cette différence de cette manière : "
L'objectif juridique a pour rôle de permettre l'exécution des fondements du droit. Dès lors que l'objectif juridique n'existe pas les fondements ne peuvent pas être exécutés. L'objectif dont jouit la loi divinement recueillie constitue sa plus grande supériorité sur la loi humaine.
Bibliographie
1- Jawad Amoli, Abdullah, la philosophie et les droits de l'homme, éd. Esra, 1996.
2- Khosroshahi, la puissance de Dieu, la philosophie du droit, étudiant chercheur, Mustafavi, Qom, l'institut d'enseignement et de recherche imam Khomeiny, 2000.
3- Dupaquet Claude, Introduction à la théorie du verdict et du droit, traduction de : Dr Mohammad Ali Tabatabaï, imprimerie Buzhar Jumhuri, 1953.
4- Saket, Mohammad Hussein, le droit, Dibachéi bar danesh huquqi, Mashad, 1992.
5- Tabatabaï, Mohammad Hussein, traduction d'Al-Mizan, Qom, moassasseh mataboat Dar-al-ilm, 2ème édition.
6- Katozyan, Nasser, la philosophie du droit, publications de l'université de Téhéran, 1973.
7- Kant Emmanuel, Leçons de l'éthique, traduction de Manuchahr Sani'i, Téhéran, naqsh wa negar, 1999.
8- Misbah Mohammad Taqi, La morale dans le Coran, Qom, publications de Parsiyan, 1998.
9- Motahari Mortaza, L'islam et les exigences de l'époque, publications de Sadra, 2000.