L'Arrivée à Qobâ
Mohammad arriva à Qobâ, dans la banlieue de Médine, à environ trois kilomètres de la ville, le lundi 12 Rabî ' al-Awwal, à la fin de la treizième année de sa Mission, et de la cinquante troisième année de sa vie. C'était une localité située dans une vallée fertile et célèbre pour ses vergers et ses jardins d'arbres fruitiers. Son chameau s'assit de son propre gré dans un lieudit Al-Taqwâ, où le Prophète descendit pour s'installer dans la maison de Kulthfim B. Hadam ou Sa'd B. Kathimah. Abû Bakr continua sa route vers Médine et s'installa chez Khabib B. Osaf ou Zayd B. Kharjah, à Sonh, une autre banlieue de Médine. Le Prophète fit halte pendant quatre jours à Qobâ pour se reposer après avoir effectué un long voyage de plus de quatre cents kilomètres, fatiguant et plein d'anxiété.(1)
Boraydah B. al-Hocîb
A Qobâ, Boraydah et soixante-dix de ses partisans, venus de la Mecque à la poursuite du Prophète, étaient arrivés avant lui. A leur arrivée, ils avaient tous embrassé l'Islam. Le Prophète se réjouit de ce premier signe de succès alors qu'il posait à peine le pied dans la banlieue de Médine. (2)
Salmân al-Fârecî
Vint ensuite Salmân, un vénérable vieillard, un commerçant d'origine persane et de confession chrétienne, mais à présent l'esclave d'un Juif de Médine. Il attendait avec anxiété le Prophète promis dans les Ecritures, et se présentant devant lui, il l'identifia comme étant le Prophète Promis et embrassa sans hésitation sa Foi. (3)
Le Ravitaillement dans la Grotte
Le frère et lieutenant du Prophète, 'Alî, qu'il avait laissé derrière lui pour restituer à leurs propriétaires les biens qu'on lui avait confiés, parvint à faire parvenir de la nourriture au réfugié et à son compagnon dans la grotte, (4) étant donné qu'aucun autre ne pouvait, naturellement, être mis dans le secret de la cachette du Prophète sans mettre en péril sa vie précieuse. Il y a aussi une autre version de l'histoire de l'approvisionnement du Prophète en nourriture. D'aucuns maintiennent qu'une certaine dame s'occupait de fournir des provisions aux réfugiés dans la grotte. Mais le bon sens refuse de croire qu'une femme (une fille de treize ou quatorze ans, probablement non mariée) ait pu oser traverser une région montagneuse sauvage (aller-retour) toute seule et sans protection, de nuit, pour apporter la nourriture au nez même des éclaireurs Quraychites, surtout lorsqu'on connaît les conditions naturelles qui entouraient la grotte, qui était à une distance d'une heure et demie de course d'homme, et située sur le sommet d'une montagne qu'on ne pouvait atteindre qu'en traversant des chemins abrupts et en zigzag. 'Alî était donc le seul homme à convenir (âgé alors de vingt-trois ans, et étant le confident du Prophète) à l'accomplissement de cette tâche, (5) et aussi à celle de fournir au fugitif et à son compagnon un moyen de transport et un guide digne de confiance pour assurer leur fuite à Médine.
'Alî à Qobâ
Après s'être acquitté d'une façon satisfaisante des responsabilités dont il avait été chargé, et ayant pris les dispositions nécessaires pour le départ sans danger des membres de la famille du Prophète à Médine, 'Alî se hâta en direction de cette ville, voyageant seulement de nuit et se cachant pendant le jour, pour éviter de tomber entre les mains des Quraych qui l'avaient maltraité sérieusement après la disparition du Prophète. (6) Il arriva à Qobâ trois jours après le Prophète, les pieds grièvement blessés et saignants. (7) Le Prophète, ravi de le voir, le reçut à bras ouverts, et le trouvant fatigué et exténué il eut les larmes aux yeux, preuve de son affection pour lui. Puis il appliqua sa salive avec sa main sur les blessures des pieds de 'Alî et pria pour lui. L'effet bénéfique s'en fit sentir immédiatement.
«Quand le Prophète s'apprêta à fuir à Médine, il ordonna à 'Alî de rester derrière lui à la Mecque pendant quelques jours pour le décharger de certaines responsabilités qui lui incombaient et restituer certains biens qui lui avaient été confiés, et de le rejoindre par la suite, avec sa famille. 'Alî exécuta les ordres du Prophète et il fut présent par la suite à ses côtés à Badr, à Ohod et lors de toutes les autres expéditions, à l'exception de la campagne de Tabûk, car le Prophète d'Allâh l'avait nommé son lieutenant à Médine» ("History of Califat", p. 171, traduc. ang. par Major Jarret d'al-Suyûtî, op. cit.).
La Fondation d'un Masjid à Qobâ
Les convertis de Qobâ firent part au Prophète de leur désir de le voir poser pour eux la pierre de fondation d'un masjid. Le Prophète demanda à ses compagnons de monter sur son chameau et de faire un tour. Abû Bakr et 'Omar, qui étaient parmi les compagnons - les visiteurs venus de Médine montèrent l'un après l'autre sur le chameau, mais celui-ci refusa de bouger. Puis le Prophète demanda à 'Alî, son Lieutenant, d'essayer à son tour. Dès qu'il mit le pied sur l'étrier, le chameau se mit debout, et le Prophète demanda à 'Alî de le laisser marcher à sa guise sans le guider. 'Alî lâcha les rênes et le chameau fit un tour sur une petite parcelle de terrain, et revenant à son point de départ, il s'agenouilla. Le Prophète marqua le site, et fixant la position de la Qiblah, il posa la pierre de fondation du masjid à construire là (on trouve l'évocation de ce masjid par le Coran dans la sourate al-Tawbah, verset 109, dernière partie).
La nouvelle de l'arrivée du Prophète se répandit dans des régions vastes et lointaines. Les prosélytes de Médine, ayant appris la date de son entrée solennelle dans leur ville, et mus par le sens de leur devoir de faire preuve de profonde révérence pour lui, accoururent à sa rencontre pour lui réserver un accueil convenable.
Le 16 Rabî' al-Awwal, le Prophète quitta Qobâ un peu avant minuit. Boraydah B. al-Hocîb et les soixante-dix de ses partisans formèrent la procession de tête du cortège, portant en guise d'étendard sa lance au bout supérieur de laquelle fut attaché un morceau de son turban. (8)
Comme c'était un vendredi, le Prophète fit halte à Ranawna, un endroit à mi-chemin entre Qobâ et Médine pour y faire la Prière du Vendredi, suivie d'un sermon à l'intention des Musulmans présents pour l'occasion. Cette Prière du Vendredi suivie du sermon, qui était la première du genre, devint désormais une tradition, et le Vendredi un jour de congé pour toujours. La plupart des convertis médinois, et presque tous les Musulmans mecquois qui avaient émigré à Médine, vinrent à cet endroit pour accueillir le Prophète et le suivirent dans la Prière.
L'Entrée du Prophète à Médine
Quand le Prophète se mit en route vers Médine après la prière, le spectacle de son départ, avec sa solennité, paraissait vraiment grandiose. On aurait cru voir une procession triomphale conduite par un monarque. La grandeur majestueuse du cortège devint plus remarquable lorsqu'il s'approcha de la ville où des milliers de personnes s'étaient rassemblées pour voir le grand Prophète de l'Islam, qui n'était autre que ce même Mohammad (Que le salut soit sur lui et sur ses saints descendants) qui avait été banni de sa chère maison par ses propres concitoyens, non sans l'avoir soumis tout d'abord aux plus durs persécutions pour mettre ensuite sa tête à prix, et qui avait échappé à la mort, à peine une quinzaine de jours auparavant. Mais les persécutions poussées jusqu'à l'extrême, au lieu de stopper le cours naturel des choses, le précipitent généralement. Cela est encore plus vrai lorsqu'il s'agit de la propagation religieuse. Tel fut le cas avec Mohammad lorsqu'il entra à Médine comme un Monarque Spirituel(9) qui faisait vibrer les curs des Musulmans et des non Musulmans. L'histoire du monde ne connaît pas un exemple plus grand du triomphe de la vérité.
Avant l'établissement du Prophète à Médine, cette ville s'appelait Yathrib. Après son installation, elle prit le nom de "La Ville du Prophète" ou "Madinat al-Monawwarah (La Ville illuminée) car une brume surplombant la ville frappe l'œil du pèlerin musulman lorsqu'il y arrive.
Chaque tribu par laquelle il passait exprimait son désir d'être honorée par sa présence, et le priait d'habiter chez elle. Le fugitif, refusant toutes ces offres, disait que le chameau sur le dos duquel il se trouvait était bien inspiré et qu'il l'amènerait là où il conviendrait. Le chameau continua à se diriger vers le quartier de l'est pour s'agenouiller dans la cour ouverte des Bani Najjâr, près de la maison de Khâlid Ibn Zayd, connu dans l'histoire sous le nom d'Abû Ayyûb al-Ançârî, le chef de la famille de Banî Najjâr à l'époque - famille à laquelle avait appartenu Salma, la mère du grand-père de Mohammad, 'Abdul-Muttalib. Il était ravi d'être le bienheureux qui eut l'honneur de la présence du Prophète chez lui. Mohammad prit donc sa maison comme résidence temporaire pendant environ sept mois, jusqu'à ce qu'un masjid et des maisons convenables pour lui-même fussent construits dans la cour où le chameau s'était arrêté.
Masjid al-Nabî
Cette cour, avec les quelques dattiers qui y avaient poussé, était la propriété de deux orphelins, Sohâl et Suhayl, qui décidèrent d'en faire cadeau au Prophète lorsqu'ils apprirent qu'il désirait construire un masjid à cet endroit. (10) Mais le Prophète ne pouvait pas accepter l'offre, et leur paya dix "mithqâl" d'or comme prix de ce lopin de terre.
Après l'acquisition du terrain, les arbres furent coupés et un masjid d'environ cinquante mètres de large et de cinquante-cinq mètres de long y fut construit avec des briques d'argile et de la boue. Il fut recouvert d'une toiture de chevrons de bois de palmier revêtus de branches et des feuilles de palmier et d'argile. La toiture n'était pas assez solide pour résister aux pluies. Aussi utilisa-t-on des troncs de dattiers comme piliers pour la soutenir. Les travaux de construction avaient été répartis entre les convertis - les Muhâjirin et les Ançâr. Le Prophète lui aussi y prit part. Mais il était très rare qu'on le laissât travailler lui-même, étant donné que 'Ammâr Ibn Yâcir, un des premiers convertis et fidèle compagnon du Prophète, s'appliquait à accomplir le travail du Prophète en plus du sien. 'Ammâr fut le premier à commencer la fondation du masjid. (11)
Une Prophétie
C'est à cette occasion que le Prophète, débarrassant avec affection le corps de 'Ammâr Ibn Yâcir de la poussière qui s'y était amassée pendant le travail, prédit que ce compagnon était destiné à tomber en martyr sous les coups de sabre de rebelles, prédiction qui se réalisera effectivement quelque trente-huit ans après. (12)
Près d'un côté du masjid, des appartements furent construits pour le Prophète et sa famille, et de l'autre côté, des chambres pour des adeptes qui n'avaient pas de maison. Leur nombre était d'environ soixante-dix à l'époque, et plus tard ce nombre sera porté à environ quatre cents. Les chambres des adeptes s'appelaient "Suffa".
Bien que le masjid fût de structure très simple, et construit avec des matériaux rudes et rugueux, il demeure comme le plus glorieux des masjids dans les annales de l'Islam, étant donné qu'il fut construit par le Prophète lui-même et ses compagnons qui y effectuèrent en outre la plus grande partie de leur adoration du Seigneur Suprême, que le Prophète y accomplissait chaque semaine la Prière du Vendredi et les sermons devant une large assemblée, que des milliers de gens y reçurent et acceptèrent les doctrines de l'Islam et y renoncèrent à leurs pratiques établies de l'idolâtrie pour embrasser avec ferveur la foi professée par le Prophète, que le Prophète y passa toute sa vie après son émigration de la Mecque, et qu'il y est enterré.
Lorsque le masjid et les bâtiments résidentiels furent achevés, le Prophète déménagea de son logement temporaire chez Abû Ayyûb al-Ançârî pour s'installer dans cette résidence permanente, avec les membres de sa famille qui étaient déjà arrivés. A cette époque-là, il avait une seule femme, Sawda. Sa future femme, 'Âyechah, était encore avec son père Abû Bakr, vivant à Sonh. Mais plus tard, après la consommation du mariage à l'âge de neuf ans, quelque huit ou neuf mois après l'arrivée du Prophète à Médine, elle fut conduite avec ostentation à l'un des appartements proches du Masjid.
La Fermeture des Portes Ouvrant sur le Masjid
Plus tard, quelques autres compagnons du Prophète construisirent eux aussi leurs maisons près du Masjid, avec des portes ouvrant sur sa cour. Quelques temps après, un jour, alors qu'ils avaient entendu une voix réclamer: «Ô gens! Fermez vos portes ouvrant sur le Masjid», ils furent étonnés d'entendre cette voix, mais restèrent assis, muets, sans se donner la peine d'exécuter le Commandement, et ce jusqu'à ce qu'ils aient entendu de nouveau l'ordre de fermer les portes sous peine de subir la Colère Divine. Terrifiés par cet avertissement, ils allèrent voir le Prophète qui se trouvait dans son appartement.
'Alî aussi sortit de son appartement qui était séparé des chambres du Prophète par un mur de cloisonnement depuis son mariage avec Fâtimah. Il se mit debout à côté du Prophète lorsque celui-ci ordonna que toutes les portes ouvrant sur le Masjid, excepté la sienne et celle de 'Alî, fussent fermées. Les gens commencèrent à murmurer. Le Prophète se mit en colère face à cette attitude.
Aussi leur dit-il: «Dieu avait ordonné à Son Prophète Mûsâ de construire un masjid sacré et IL lui avait permis, ainsi qu'à Hârûn et à ses deux fils, Chabbar et Chabir, d'y vivre. De même, j'ai reçu l'ordre de construire un masjid sacré dans lequel moi et mon frère 'Alî, ainsi que ses deux fils, al-Hassan et al-Hussayn, avons la permission de vivre. Je ne fais vraiment que ce que je reçois l'ordre de faire. Je n'entreprends jamais une action selon mon propre désir. Ce n'est certainement pas moi-même qui ai émis un ordre personnel de fermer vos portes ni de laisser ouverte celle de 'Alî. C'est Dieu qui accorda à 'Alî une demeure dans le Masjid sacré».
A la suite de quoi, les compagnons dont les maisons longeaient la cour du Masjid fermèrent leurs portes.
«D'après Sa'd, le Prophète a dit à 'Alî: "Il n'est pas permis à personne d'autre que moi et toi d'être à la Mosquée, sans se soumettre à l'obligation de faire une ablution consciencieuse"». ("History of Califat", p. 175, traduc. de M. Jarret d'al-Suyûtî, op. cit.)
«'Omar Ibn al-Khattâb a dit: "'Alî est favorisé par trois qualités dont si je n'avais qu'une seule, elle me serait plus précieuse qu'un cadeau de chameaux de race supérieure". Et lorsqu'on lui avait demandé quelles étaient ces qualités, il a répondu: "Son mariage avec Fâtimah, la fille du Prophète; le fait de demeurer dans la cour de Mosquée, ce qui lui donne l'autorisation de ce qui ne m'est pas permis; et le fait qu'il ait porté l'Etendard le jour de Khaybar."». (Ibid.)
L'Autorité de Mohammad
A Médine, les Aws et les Khazraj étaient les tribus arabes prédominantes et formant la plus grande partie de la population de la ville. A l'origine, ils descendaient des Banî Qayla, Arabes du Yémen. Quelques siècles avant Mohammad, ils avaient émigré à Yathrib, Médine maintenant, et chassé les Juifs dont une partie sera disséminée parmi les Arabes et sous leur protection, et une autre regroupée en communautés indépendantes, telles que les Banî Qaynoqâ', les Banî Nadir et les Banî Quraydhah; mais la plupart des Juifs partirent et s'établirent ailleurs: à Wâdî al-Qorâ, Khaybar, Fadak, Taymah, etc.
Les Banî Qayla arabes étaient divisés en deux branches, les Aws et les Khazraj, qui étaient ennemis implacables les uns des autres. Peu avant l'arrivée de Mohammad, la Bataille de Bo'ath, qui eut lieu la septième année de la Mission du Prophète, entre les frères ennemis, avait brisé le pouvoir des Khazraj qui pensaient maintenant à faire d'Ibn Obay le roi de Médine, afin qu'il les guidât et qu'il consolidât leur force, étant donné qu'ils étaient plus nombreux que l'autre partie.
A ce moment précis, l'apparition du Prophète et la conversion de la majorité des Aws firent pencher la balance du côté du Prophète, lequel se trouvait dans une conjoncture propice pour résoudre les conflits et rétablir l'ordre. Jusqu'ici les Arabes avaient l'habitude de soumettre tous les cas compliqués de leurs disputes à leurs Kâhin ou prêtres.
Maintenant ils les soumettaient à Mohammad, en sa qualité de leur chef religieux. Mohammad avait une intelligence aiguë et pénétrante, et il était un homme de jugement excellent, doué naturellement d'une faculté de compréhension saine. Il écoutait leurs arguments et il était aidé par la Providence pour résoudre leurs énigmes. Ses jugements étaient toujours acceptables par les parties en conflit. Ses raisonnements judicieux et ses décisions équitables rehaussaient encore plus sa position aux yeux des gens et renforçaient la croyance de ceux-ci à sa sainteté en tant que Messager de Dieu. Il réussit à réconcilier les tribus des Aws et des Khazraj, et à rétablir la paix et l'ordre entre eux. Il était pour cela le restaurateur de la Loi et de la Justice, à une époque où prévalaient la violence et la haine. Il devint le véritable "Hâkim bi-amr-Allâh", pour eux, et son autorité était reconnue par tous les habitants de Médine.
Fraternité entre les Muhâjirîn et les Ançâr
Le Prophète inculqua aux Musulmans le principe fondamental selon lequel la fraternité ne dépendait pas du sang, mais de la foi. Aussi les relations des Musulmans avec les non-Musulmans furent-elles entièrement désavouées. Les droits de l'héritage familial en Islam étaient expressément valides et sacrés. Ces commande-ments aboutirent à une extension considérable de la Communauté musulmane.
Le Prophète établit individuellement la fraternité entre les Muhâjirin de la Mecque et les Ançâr de Médine. Par exemple il établit la fraternité entre Abû Bakr (Muhâjir) et Kharjah Ibn Zayd (Ançâri), entre 'Omar Ibn al-Khattâb (Muhâjir) et 'Othbân Ibn Mâlik (Ançârî), entre 'Othmân Ibn 'Affân (Muhâjir) et Aws Ibn Thâbit (Ançâri). (13) Sa propre fraternité, le Prophète l'accorda à 'Alî, son cousin, comme il l'avait fait précédemment à la Mecque - en déclarant, d'après al-Suyûtî: «Tu es mon frère dans ce monde et dans l'autre monde».
Les Musulmans devinrent compatissants et bien intentionnés les uns envers les autres après l'établissement de la fraternité entre eux par groupes de deux personnes. Ils étaient si enthousiastes dans leur foi qu'ils devinrent indifférents à tout ce qui était considéré comme sacré avant l'Islam ou en dehors de lui. Finalement, ils étaient animés d'un étrange esprit de solidarité quant à leur adhésion au Prophète, et de cohésion, quant à leur volonté de rester ensemble.
Gibbon décrit cet état de choses dans les termes suivants: «Pour détruire les germes de la jalousie, Mohammad coupla judicieusement ses principaux adeptes par les droits et les obligations de la fraternité; et alors que 'Alî se trouvait sans pair, le Prophète déclara qu'il serait le compagnon et le frère du jeune noble. L'expédient fut couronné de succès, la fraternité sacrée était respectée en temps de guerre comme en temps de paix, et les deux parties rivalisaient l'une avec l'autre dans une émulation généreuse de courage et de fidélité». (W. Smith, p. 460)
Le décret de la fraternité est exprimé de la façon suivante dans le Coran:
«Ceux qui ont cru, ceux qui ont émigré et ceux qui ont combattu - avec leurs biens et leur vie - dans le chemin de Dieu, et ceux qui ont offert l'hospitalité aux croyants et qui les ont secourus, seront proches parents les uns des autres». (Sourate al-Anfâl, 8: 72)
Conformément à ce décret, chacune des deux personnes entre lesquelles la fraternité avait été établie jouit du droit d'hériter de l'autre, jusqu'à la révélation du verset suivant après la Bataille de Badr:
«Le Prophète est plus proche parent des croyants qu'ils ne le sont d'eux-mêmes; et ses épouses sont leurs mères; mais selon le Livre de Dieu, ceux qui sont liés par un lien de sang sont plus proches (parents) les uns des autres que des autres croyants et émigrés». (Sourate al-Ahzâb, 33: 6). (14)
Les Hypocrites
Malgré tout ceci, des sentiments d'antipathie existaient chez un nombre considérable de membres de la Communauté. Ibn Obay - 'Abdullâh Ibn Obay al-Salfil - un homme riche et puissant qui avait une grande influence sur la tribu de Khazraj, était jaloux de Mohammad qui était arrivé à un moment où lui-même rêvait de se faire couronner roi de Médine. Lui et ses partisans affectaient le plus grand respect pour le Prophète, mais dans leur for intérieur ils étaient très indisposés à son égard. Toutefois, ils ne pouvaient pas entreprendre ouvertement une action hostile contre lui par manque d'une opinion tranchée et d'une force suffisante. Ces hommes étaient surnommés "Munâfiqînes" ou "Hypocrites".
L'Appel à la Prière
Au cours de la deuxième année de l'Emigration, un appel à la prière, tel que l'avait communiqué au Prophète l'Ange Gabriel, fut introduit; et Bilâl l'Africain fut désigné pour appeler les Musulmans, avec sa voix puissante et agréablement mélodieuse, à chacune des prières quotidiennes. (15)
La Ka'bah comme Qiblah
Au début les Musulmans ne tournaient leur face vers aucun lieu ou direction particulier lorsqu'ils faisaient leurs prières. A Médine, le Prophète leur ordonna de se tourner vers Jérusalem qui devint leur Qiblah jusqu'à la mi-Cha'bhân de la deuxième année de l'Emigration. A cette époque, alors qu'il était en train d'accomplir sa prière de midi, il reçut d'Allâh l'ordre de commander à ses adeptes de tourner leur face vers la Ka'bah, à la Mecque (Sourate al-Baqarah, versets 139,140).
Depuis lors la Ka'bah est observée strictement comme la Qiblah vers laquelle les Musulmans se tournent pour prier et pour se prosterner jusqu'à ce que leur front touche le sol en signe d'humilité et de soumission au Tout-Puissant Seigneur, le Créateur de tous les êtres. (16)
Le Jeûne de Ramadhân
L'observance obligatoire du jeûne au mois de Ramadhân fut aussi décrétée à peu près à la même époque (voir versets 179-181 de la Sourate al-Baqarah).
Le Prophète occupa la première année et demie suivant l'Emigration à Médine, à l'installation, au rétablissement de la paix et de l'ordre parmi les citoyens, à la restauration de la Loi et de la Justice, à la consolidation de sa force, tout en s'occupant de ses fonctions religieuses et de la réglementation de l'observance des prières, du jeûne et des aumônes par les Musulmans, ainsi que de leur adoration du Seigneur Suprême, ce qui était le but principal de sa vie.
Le Mariage de Fâtimah
Les fiançailles de Fâtimah, la fille unique du Prophète, avec son cousin et fidèle disciple, 'Alî, eurent lieu au mois de Ramadhân de l'an 2 de l'Hégire, mais les cérémonies nuptiales furent organisées deux mois plus tard, au mois de Thilhaj. (17)
Cette alliance avait été ordonnée, (18) suivant une révélation faite au Prophète, (comme celui-ci l'affirma à sa fille), Fâtimah, par Dieu Qui l'avait informé qu'IL avait élu parmi les plus nobles créatures de la terre deux hommes bénis - l'un étant lui-même (Mohammad, le Père de Fâtimah) et l'autre, 'Alî (son mari) - et qu'IL avait décrété que ses descendants (du Prophète) en ligne directe seraient issus du couple ('Alî et Fâtimah) et non directement de lui-même (du Prophète).
Les cérémonies de mariage de la fille unique de Mohammad montrent bien la simplicité idéale dans laquelle elles furent organisées. Le festin de mariage consista en dates et olives, la couche était une peau de mouton, les ornements, les effets généraux et les articles de ménage pour la fiancée, consistaient en tout et pour tout en une paire de bracelets en argent, deux chemises, une toilette, un oreiller de cuir bourré, de feuilles de palmier, un moulin à grains, une tasse à boisson, deux grands récipients et une cruche. C'était tout, et cela concordait avec la situation du Prophète Mohammad et de son gendre 'Alî, qui dut vendre sa cotte de mailles pour se procurer le prix de la dot qu'il avait à offrir.
La véritable grandeur de ce mariage ne réside pas dans l'ostentation, mais dans les bénédictions du Ciel pour lequel ce mariage est le plus mémorable dans les annales de l'Islam. Le couple - lié dans une alliance matrimoniale par Dieu - était destiné à être l'origine d'une progéniture illustre qu'on appelle les fils du Prophète, qui sont distingués des autres membres de la Ummah par leur titre d'Imam ou de Commandeur des croyants, et par leur position de successeurs du Prophète de Dieu.
Ils sont universellement reconnus par les Musulmans comme étant la source de la piété et de la sagesse. Al-Hassan et al-Hussayn, les fils de ce couple béni, jouaient dans le giron du Prophète qui les montrait fièrement du haut de sa chaire en les appelant: les deux Maîtres de la Jeunesse du Paradis. Les parents eux-mêmes étaient exaltés, tout comme leurs enfants, par le Prophète qui disait: «Je suis la cité du Savoir, 'Alî en est la porte».
Ainsi, 'Alî qui prouva à maintes occasions qu'il était un héros vaillant, acquit le mérite d'être surnommé "Le Lion d'Âllâh". Quant à Fâtimah, qui polarisait l'amour et la confiance du Prophète, elle fut rangée parmi les quatre nobles dames "à la foi parfaite" par lesquelles Dieu daigna bénir cette terre, et qui sont: Âsya(19), la femme du Pharaon, Maryam, la mère de 'Isâ, Khadîjah, la femme de Mohammad, et Fâtimah, la femme de 'Alî.
Notes :
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1- "Al-Tabarî"; "Ibn Athîr"; "Rawdhat al-Ahbâb".
2- "History of Islam" de Zakir Hussayn, vol. III, p. 124.
3- Ibid.
4- "Abul-Fidâ'"; "Habîb al-Sayyâr".
5- "W. Irving", p. 161
6- "Abul-Fidâ'".
7- "Ibn 'Abd Rabbah"; "Abu-Fidâ'".
8- "Al-Milal wal Nihal" d'al-Chahristânî.
9- "Abul-Fidâ'", vol. I, p. 169; "'Abd Rabbah"; "Ibn Qotaybah".
10- "Al-'Aqd al-Farîd" d'Ibn 'Abd-Rabbah.
11- "Abul-Fidâ'".
12- Ibid.
13- "Rawdhat al-Ahbâb".
14- Ibid.
15- "Murûj al-Thahab" de Mas'ûdî; "Ibn Qutaybah"; "Ibn Athîr".
16- "History of Saracens", de S. Ocklet, p. 280
17- "Murûj al-Thahab" d'al-Mas'ûdi; "Ibn Qutaybah"; "Ibn Athîr".
18- Ibid,
19- "Mas'ûdî"; "Annals of the Early Caiphate" de W. Muir.