L’une des façons d’aborder l’étude des différentes gnoses est d’étudier la façon dont elles font parvenir les hommes à Dieu. Il semble à ce sujet qu’il y ait trois points fondamentaux à prendre en considération et sur la base desquels on pourrait évaluer les degrés de guidance de l’homme présentés par chacune des écoles pour procéder à une comparaison significative. Ces trois points sont :
1. L’orientation de base - 2. Les principes élémentaires et théoriques - 3. La méthode et le programme.
L’orientation de base :
Il s’agit en premier lieu de savoir si les écoles spirituelles objets d’étude ont à la base une orientation particulière, si elles se sont toutes fixé Dieu pour objectif final et si elles se proposent de guider l’homme en direction de Dieu, de le conduire jusqu’à ce qu’on appelle la proximité divine, ou bien si elles n’ont pas opté pour cette direction, et que leur but n’est pas de parvenir à Dieu. Il va de soi que si une pensée gnostique ne se fixe pas Dieu pour objectif et ne s’oriente pas dans cette direction, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle fasse parvenir un homme à la proximité divine.
De ce point de vue, la plupart des gnoses d’inspiration non-religieuse et même certaines gnoses religieuses, comme le Bouddhisme, ne sont pas préoccupées par l’orientation vers Dieu ou par le souci de faire parvenir l’homme à Dieu. Dans le bouddhisme en effet, la question de la croyance en Dieu ne se pose pas. Dans son livre Pictures of God (Images de Dieu), Keith Ward écrit : « On peut affirmer preuve à l’appui que la religion bouddhiste évite Dieu… Il n’y pas de quête d’un Dieu personnel dans cette religion, il y a encore moins le souci de se relier à Lui ou d’en faire l’objectif majeur de sa vie.’’ L’objectif le plus élevé dans la gnose bouddhiste est de parvenir au Nirvana. Le Nirvana est défini comme un silence, un vide, une mort avant la mort.
D’autres disent qu’il est indéfinissable. Le Nirvana est la libération de la roue des existences, samsara, qui est le but final des œuvres et des rites bouddhistes. Dans cette phase du nirvana, les énergies qui conduisent au renouvellement de la roue de l’existence sont éliminées et l’individu qui y parvient cesse de renaitre. Il se libère du cycle des morts et des naissances. Le but ultime de l’enseignement de cette religion est donc la libération du samsara, de la réincarnation et de la métempsychose, c'est-à-dire ne plus revenir dans ce monde éphémère et plein de souffrances. On s’éloigne ici clairement de la recherche d’un Dieu du monde ou du Créateur.
Les fondements théoriques
Les piliers théoriques les plus importants d’une école gnostique sont la connaissance de Dieu (théologie au sens d’une science de la perfection divine), la connaissance de l’univers et la connaissance de l’homme. Plus une religion aura dans les trois domaines précités, une connaissance profonde, englobante, juste et solide et des connaissances vastes de l’unité divine, des attributs de beauté et de majesté, les plus beaux Noms divins, ou encore une connaissance vaste et profonde du monde de la manifestation, de l’existence et exposant les liens du monde créé avec le Principe créateur ainsi que leurs modalités, plus elle aura une connaissance plus vaste de ce qu’est l’homme, de son origine, de son lieu actuel, de sa fin ultime, de ses fonctions dans l’existence, à quelles perfections il peut prétendre et comment il pourrait établir une liaison avec son Dieu et mettre tout cela au service des hommes, et plus elle aura à son tour de capacité pour faire parvenir l’homme à Dieu. En revanche, une mauvaise connaissance et une faiblesse des enseignements d’une religion la rendent incapable de conduire l’homme à Dieu. Cela semble être le cas de nombreuses écoles gnostiques. A titre d’exemple :
Dans le bouddhisme, et comme nous l’avons évoqué, il n’est pas question de Dieu. Cette religion est dépourvue des moindres ressources qui constituent une théologie. On ne peut par conséquent pas s’attendre à ce que cette religion conduise l’homme à Dieu. D’autre part, le fondement de sa conception du monde est un regard négatif qui considère le monde comme une cause de souffrance. Dans son anthropologie, comme l’hindouisme, le sikhisme et le jainisme, le bouddhisme est prisonnier de doctrines erronées comme la réincarnation. De ce point de vue, l’ambition ultime de cette religion se résume à enseigner à l’homme le moyen de se soustraire au cycle de la réincarnation qui ne cesse de ramener les êtres dans ce monde, un monde qui est à leurs yeux le lieu de souffrance par excellence. On voit par conséquent que cela n’a rien à voir avec un retour à Dieu prôné par d’autres traditions gnostiques.
Le manichéisme et les autres religions dont la Perse antique fut le lieu de naissance et où elles y ont été répandues, ont colporté le vice d’associationnisme (shirk) dans leur conception de la création, outre le fait de porter un regard sceptique sur le monde.
Le christianisme, suite aux falsifications qui ont été introduites dans ses Ecritures, est tombé dans une sorte d’associationnisme et de contradiction dans ce qui constitue l’essentiel de sa croyance, c'est-à-dire la connaissance de Dieu. La croyance dans le dogme de la Trinité qui enseigne un Dieu trine, un dieu en trois, a ébranlé cette religion pour quelque chose de contraire à toute intelligence. Le professeur Gary C. Legenhausen dit : « Quand je demandais aux prêtres chrétiens de m’expliquer comment Dieu est à la fois un et trois, ils me répondaient, dans la plupart des cas, qu’ils ne savaient pas quoi répondre à ce mystère que Dieu seul connaît. La raison ne peut rien devant ce mystère. Ce qu’il y avait de frappant pour moi à ce propos est que personne n’a dit que dans l’islam, on devait accepter aveuglément les fondements de la religion. Bien au contraire, on m’a dit d’aller interroger les savants les plus compétents pour avoir les réponses adéquates. »
Margaret Marcus, écrivaine et journaliste américaine d’origine juive convertie à l’islam, écrit aussi à ce sujet : « Après avoir examiné toutes les croyances des grandes religions, je suis arrivée à cette conclusion que dans l’ensemble, les grandes religions sont à l’origine une seule, mais avec le passage du temps, elles ont été corrompues. L’idolâtrie, l’idée de réincarnation, le système des castes se sont infiltrés dans la croyance hindoue. Le culte des anciens fait partie des croyances du confucianisme.
Le dogme du péché originel ainsi que celui de la Trinité et en conséquence, la divinisation de Jésus (as) et l’intercession qui s’appuie sur la mort prétendue de Jésus (as) sur la croix, dans le christianisme, le dogme de l’élection du peuple juif, etc., tout cela résulte de ces déviations. Aucune des idées qui m’ont repoussé dans les autres religions ne se retrouvait dans l’islam. J’avais au contraire le sentiment croissant de jour en jour que l’islam était la seule religion authentique qui a conservé sa pureté première. Dans les autres religions, seule une mince partie des enseignements était recevable pour la raison et la vérité. Et seul l’islam a conservé toute la vérité dans son intégrité. » La gnose et la religion chrétienne ont été altérées notamment par la conception négative de l’homme et la croyance au péché originel.
Le programme et la méthode pratique
Beaucoup d’écoles gnostiques ou mystiques font face à des excès dans l’un ou l’autre sens ainsi qu’à des difficultés importantes sur le plan du programme et des pratiques. Les principales difficultés sont :
Premièrement, la tendance excessive à se constituer en clan et à négliger les relations avec les instances sociales externes ont entrainé certaines écoles spirituelles à oublier totalement la responsabilité sociale de l’homme et à le vider de toute attention et de tout intérêt pour la politique, la liberté, la justice sociale, la santé publique, etc. Elles ne permettent pas ou ne peuvent pas instaurer un lien entre l’aspiration aux valeurs spirituelles supérieures et les aspects habituels de la vie sociale.
Or, dans la religion musulmane, une gnose sans responsabilité sociale équivaut à une gnose dépourvue de religion et de Dieu. C’est ce qui ressort de la tradition prophétique : « Celui qui chaque jour ne se soucie pas des affaires des musulmans n’est pas musulman. » A ce propos, le regretté Muhammad-Taqî Ja’farî a écrit : « Se dire gnostique sans s’intéresser au sort des hommes équivaut à se dire gnostique sans se soucier des commandements de Dieu Tout-puissant ». Car prétendre à la gnose et à l’amour pour Dieu sans prendre soin des jeunes pousses de Son jardin et sans prêter attention à Son lieu de manifestation qui est justement le milieu humain signifie se détourner de Dieu.
Deuxièmement, les exercices difficiles, la lutte contre les passions ou encore les épreuves pour parvenir à la maîtrise parfaite du corps font partie des programmes des gnoses basées sur les philosophies de l’hindouisme, du manichéisme et du cynisme grec. Cela se retrouve aussi en partie dans le catholicisme, qui est allé jusqu’à considérer le mariage comme incompatible avec une éducation spirituelle supérieure, en adoptant le dogme du célibat des prêtres. Ces pratiques entraînent souvent une rébellion de l’âme qui conduit aux scandales dont on parle souvent dans les médias.
Rûmî, le grand maître spirituel de langue persane, a dit à ce propos:
Chun nafs aashofte tar gardad az aan
Ke kony bandash be zanjir-e geraan
La respiration devient plus compressée
Quand tu enserres la poitrine d’une chaîne lourde,
En réaction à ces pratiques, la civilisation occidentale contemporaine a récemment pris le chemin de l’excès dans le sens inverse, en donnant à l’âme plus de liberté, en relâchant les rênes de la morale. Dans le système éducatif musulman, les deux excès ont été repoussés et on a opté pour une voie médiane.
Troisièmement, le délaissement de la Loi divine. Certaines écoles gnostiques, bien qu’elles soient conscientes d’être tributaires de la religion, ont en pratique séparé leur voie de la voie originelle de la religion et de la Loi divine. Alors que l’esprit de la gnose consiste à placer toutes les dimensions et tous les aspects de l’existence sur la voie droite de Dieu, du service absolu et sincère de Dieu nourri par l’amour et la connaissance. Or, cela demande une conformation totale et constante à la Loi divine. A titre d’exemple, dans la méthode pratique du bouddhisme, comme dans le groupe de « Eck » ou « Eckankar », les rites d’adoration ont été abandonnés et on ne leur accorde plus le moindre intérêt.
Dans la gnose chrétienne, contrairement aux enseignements de Jésus (as), les préceptes de la Loi ont été repoussés et ignorés. Saint Paul, qui fut le deuxième fondateur du christianisme en posant la liberté intrinsèque de l’esprit, a ignoré la Loi et a déclaré que pour parvenir à la droiture, il n’était pas nécessaire de se conformer à la Loi et d’obéir aux enseignements religieux. Il est allé jusqu’ à déclarer que même la justice ne se pose que dans le cadre de la foi et a nié l’impact de toute acte dans ce domaine.
Dans le Nouveau Testament, on peut ainsi lire : « C'est lui que Dieu a destiné, par son sang, à être, pour ceux qui croiraient victime propitiatoire, afin de montrer sa justice, parce qu'il avait laissé impunis les péchés commis auparavant, au temps de sa patience, afin, dis-je, de montrer sa justice dans le temps présent, de manière à être juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus. Où donc est le sujet de se glorifier ? Il est exclu. Par quelle loi ? Par la loi des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi. Car nous pensons que l'homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. » (Epître de Paul aux Romains, 3 : 25-28) En contrepoint, l’islam considère que la foi sans les œuvres est égal à la négation de la foi. Comme l’a dit le Noble Prophète de l’islam (s) : « La foi est une connaissance par le cœur, une profération par la langue et une action par les membres et organes ». Il a également dit : « La foi et les œuvres sont deux jumeaux inséparables. Dieu ne reçoit jamais l’un sans son compagnon. »
La première conception, celle du christianisme conduit à la permissivité. La conception de l’islam conduit à mettre en harmonie tous les actes et les comportements dans la bonne direction, celle qui conduit à Dieu, par la purification de l’apparence et de l’intérieur de tout ce qui fait obstacle sur la voie de Dieu et qui retient l’élévation et l’ascension de l’homme vers sa perfection.
Les traits distinctifs de la gnose islamique
La gnose pure et authentique de l’islam jouit de plusieurs traits d’excellence qui la distinguent des autres. Martin Lings (1909-2005), le grand savant anglais spécialiste du soufisme, la considère comme authentique et originale, universelle et unique en son genre. Parmi certains de ces traits distinctifs, on peut citer :
Une origine divine basée sur une religion authentique et non altérée
Une orientation précise, parfaite et multilatérale vers la perfection absolue, le Principe et la fin de l’Etre, à savoir l’Essence Pure de l’Un.
Le fait qu’elle repose sur des fondations solides, acceptables par la raison et la logique.
Le fait d’être pourvue d’un programme pratique global, équilibré, adapté à la nature humaine et au système cosmique, subtil, plein de mansuétude et d’une minutie sans égal.