Prise de Position concernant la Succession du Prophète (P)
Les historiens et les « traditionnistes »(1), aussi bien Sunnites que Chiites s’accordent pour dire que lorsque le Prophète s’était apprêté à effectuer le dernier pèlerinage, il annonça, partout à travers le territoire de l’Etat islamique, que tous les Compagnons devaient l’accompagner dans ce pèlerinage. Après cette annonce les Compagnons du Prophète commencèrent à affluer de toutes parts vers Médine. D’autre part, il fit savoir à tout le monde que ceux qui ne pouvaient pas venir à Médine devaient se rendre directement à la Mecque pour accomplir avec lui les rites du pèlerinage.
Le Prophète (P) quitta Médine le 25 Thil-Qi`dah de l’an 10 de l’Hégire (Ta’rîkh Ibn Al-Wardî). D’innombrables Compagnons, dont Salmân al-Farecî, al-Miqdâd, Abû Tharr et `Ammâr Ibn Yâcir, quittèrent Médine en sa compagnie.
Lorsqu’il arriva à la Mecque, il y accomplit les cérémonies du Pèlerinage. Tous les Ahl-ul-Bayt (les membres élus de sa famille) ainsi que ses femmes et ses Compagnons se joignirent à lui dans le Pèlerinage. Dans ce vaste rassemblement il tint à prononcer un sermon, pendant le Pèlerinage, dans lequel il énuméra les points saillants du bien-être de ses adeptes et expliqua les moyens par lesquels la Ummah avait pu obtenir le salut.
Après avoir terminé le Pèlerinage, il quitta la Mecque pour retourner à Médine, accompagné d’environ 125.000 (selon le traditionniste Dehlawî) ou 124.000 (selon Khâwand Châh) compagnons.(2)
Sur le chemin du retour et une fois arrivé avec ses compagnons à un endroit appelé Ghadîr Khum, Jibrâ’îl (l’Archange Gabriel) lui fit parvenir le Messager divin suivant:
« O Mon messager! Communique ce qui t’a été révélé par ton Seigneur, autrement, si tu ne le communiquais pas, tu n’auras pas communiqué Son Message (transmets Mon Message sans crainte), Allah te protégera de la méchanceté des gens ». (Sourate al-Mâ’idah, 5:67)
Après cet ordre clair et formel, le Noble Prophète n’avait d’autre alternative que la transmission du Message d’Allah aux gens. Aussi, ordonna-t-il qu’on érige une chaire avec des bâts de chameau. Ensuite il demanda à Bilâl l’Africain:
« O Bilâl! Appelle les gens et dis à mes Compagnons que ceux d’entre eux qui sont déjà partis doivent revenir et que ceux d’entre eux qui sont restés en arrière doivent se hâter d’avancer (pour se joindre au rassemblement) ».
Bilâl s’écria: « Hayya `Alâ Khayr al-`Amal » (Accours au meilleur acte). Les masses de compagnons se rassemblèrent autour de la chaire. Le Prophète monta sur la chaire et après avoir prononcé un très long et éloquent sermon il demanda à Ali de venir le rejoindre. Puis tenant les deux mains d’Ali dans ses mains, il les releva si haut que l’on pouvait voir clairement la blancheur de ses aisselles, et s’écria:
« Quiconque me considère comme étant son maître doit considérer Ali comme étant son maître. O Allah! Sois l’ami de celui qui sera l’ami d’Ali, et l’ennemi de celui qui sera l’ennemi d’Ali ».
Dès que le Prophète (P) eut terminé son sermon et le couronnement d’Ali comme le maître des croyants, des voix d’approbation s’élevèrent de partout.
Le Saint Prophète descendit de la chaire et ordonna à Ali d’aller sous la tente verte pour recevoir les félicitations des Compagnons. Ali s’exécuta et reçut les congratulations pour sa désignation on ne peut plus claire et solennelle pour la succession au Prophète. Il remercia à son tour les Compagnons pour leur félicitation. Il est noté dans « Ma`ârij al-Nubbuwwah » qu’outre les Compagnons, les femmes du Prophète aussi félicitèrent Ali pour son accession au titre de maître et de gardien de la Ummah (la Nation musulmane).
Selon « Ta’rîkh Ibn Khalqân », le Prophète (P) avait dans son discours de Ghadîr Khum, jeté la lumière sur la prééminence et le statut particulier d’Ali en soulignant que le même lien qui liait Hârûn à Mûsâ, liait Ali à lui (le Prophète).
Selon Mustadrak al-Hâkim, le prophète dit à cette occasion: « Je laisse derrière moi, pour vous, deux choses précieuses, le Livre d’Allah et mes Ahl-ul-Bayt (les membres bénis de ma famille). Tant que vous vous y attacherez, vous ne serez pas égarés ».
Ce même Hadith est mentionné dans « Khaçâ’iç al-Nisâ’î ». Selon Rawdhat al-Ahbâb, le Saint Prophète dit aussi dans ce sermon: « O Allah! Sois l’ami de quiconque est l’ami d’Ali, et l’ennemi de quiconque est l’ennemi d’Ali; et fais tourner la vérité vers la direction dans laquelle Ali tourne son visage ».
Il est dit dans:
- « Tafsîr Fat-h al-Bayân » de Siddîq Hasan,
- « Asbâb al-Nuzûl »,
- « Tafsîr al-Dorr al-Manthûr », que le verset « Balligh » (O Messager! Com-munique…etc) susmentionné a été révélé exclusivement à propos d’Ali. De même, on peut lire dans:
- « Charh al-Bukhârî »,
- « Tafsîr Gharâ’ib al-Qor’ân » d’al-Nichâpûrî,
- « Ta’rîkh Ibn al-Wâdhih »,
- « Kanz al-`Ummâl », etc.
que le verset en question (Balligh) a été révélé pour souligner la haute position d’Ali.
Comme on peut le déduire du verset révélé au Saint Prophète à cette occasion, la désignation publique de l’Imam Ali comme maître de la Ummah devant l’ensemble des Compagnons, n’était pas vue d’un bon oeil par tout le monde,(3) puisque le verset appelle le Prophète à ne pas craindre la réaction des gens, la protection d’Allah lui étant assurée. Mais si, à ce moment-là, personne n’osa contester publiquement cette désignation faite par le Prophète sur ordre d’Allah devant des milliers de dignitaires de l’Islam, la contestation ne tarda pas à se manifester directement et indirectement à diverses occasions.
En effet, on peut lire dans « Ta’rîkh Abu-l-Fidâ » que le Saint prophète tomba malade après son retour de Ghadîr Khum. On était vers les derniers jours du mois de ?afar de l’An 11 de l’hégire. Selon « Michkât Charîf » la cause de cette maladie était le même poison qui lui avait été administré à Khaybar et qui manifestait ses effets épisodiquement. « Ta’rîkh Ibn al-Wardî » note que de son lit d’agonie, le Prophète donna l’ordre à tous les Compagnons d’aller rejoindre l’armée de Usâmah Ibn Zayd qu’il venait de nommer comme Commandant Général. A propos de cette affaire de l’armée de Usâmah, le Muhaddith (traditionniste) al-Dehlawî écrit dans « Al-Madârij » que le lendemain de son arrivée, et alors que sa maladie s’aggravait sérieusement, le Saint Prophète tendit à Usâmah le drapeau de la guerre et lui demanda de partir en campagne contre les incroyants pour défendre la cause d’Allah. Usâmah confia ce drapeau à Buraydah Ibn Khâzib à l’extérieur de la ville et le nomma porte-drapeau de l’armée. Usâmah partit de Médine et fit halte à Jaraf non loin de cette ville en attendant que l’armée se rassemble. Le Prophète (P)avait ordonné que tous les « Muhâjirîn » (les Emigrants Mecquois) et « Ançâr » (les Partisans Médinois), à l’exception d’Ali Ibn Abi Tâlib doivent se joindre à l’armée d’Usâmah et partir en campagne avec ce dernier. Mais certains Compagnons critiquèrent la nomination par le Saint Prophète, d’un esclave à la tête des hauts dignitaires qu’étaient « les Muhâjirîn et les Ançâr ». Peu à peu, leur grogne devint publique. Lorsque la nouvelle de cette grogne parvint aux oreilles du Saint Prophète, il sortit de sa maison très fâché, et il monta sur la chaire, d’où il s’adressa aux gens:
« O gens! Pourquoi tous ces bruits à propos de la nomination d’Usâmah au commandement de l’armée, exactement comme vous les (bruits) aviez faits, déjà, à l’époque de la Campagne de Mo’tah, lorsque le père de Usâmah avait été nommé commandement de l’armée! Par Allah, Usâmah mérite ce commandement tout comme son père avait mérité le commandement de son armée ».
Selon « Al-Milal wa-l Nihal » d’al-Chahristânî et « Hujaj al-Karâmah » de Siddîq Hassan, le Saint Prophète avait insisté pour que tous les Compagnons se préparent immédiatement pour participer à l’armée de Usâmah et dit: « Maudit soit celui qui s’oppose à l’armée de Usâmah! ». Cependant, selon Madârij al-Nubuwwah, Abû Bakr et `Omar restèrent derrière, à Médine alors que Usâmah avait déjà mis en marche son armée. Mais alors que l’armée était sur le point de partir, la mère de Usâmah informa celui-ci que la maladie du Prophète s’aggravait. Aussi, lui conseilla-t-elle de revenir sur ses pas, ce qu’il finit par faire.
Il est dit dans « Ta’rîkh al-Tabarî »: « Le Saint Prophète se sentant agonisant, il demanda qu’Ali vienne auprès de lui. `Ayechah, l’une de ses épouses lui suggéra d’appeler plutôt son père (Abû Bakr), et Hafçah son autre épouse, le sien (Omar). Entre-temps, ces Compagnons et d’autres se rendirent auprès de lui. Mais le Saint Prophète s’écria: « Partez! Je vous appellerais si jamais j’avais besoin de vous ». Sur ce, tout le monde est reparti. »"
Selon Ibn Abbâs cité par Sahîh Muslim, lorsque le Saint prophète agonisait sur son lit de mort, `Omar Ibn al-Khattâb et d’autres Compagnons étaient présents. Le Saint Prophète demanda: « Apportez-moi du papier et de l’encre pour que je vous écrive quelque chose (comme testament) grâce auquel vous ne serez pas égarés après moi. ».
`Omar Ibn al-Khattâb s’opposa à la demande du Prophète et dit: « Le Prophète divague. Nous avons le Saint Coran, et ceci nous suffit largement ». Sur ce, une dispute éclata entre les Compagnons présents. Les uns disaient: « Il est obligatoire d’obéir aux ordres du Prophète et de le laisser écrire ce qu’il veut écrire à notre intention ». D’autres approuvèrent `Omar dans son objection. Lorsque la dispute s’envenima, le Saint Prophète outré, s’écria: « Allez-vous-en ». Ibn `Abbâs dit à ce propos: « C’était une vraie tragédie et un désastre que le Prophète n’ait pas pu écrire ce qu’il voulait écrire, à cause de la dispute et des dissensions entre les gens présents auprès de lui ».
`Abdullâh Ibn Abbâs, cité par Sa`îd Ibn Jubayr dans « Sahîh al-Bukhârî » dit à propos de cet incident: « Quelle journée calamiteuse était ce jeudi-là! ». Et d’ajouter:
« Lorsque ce jeudi l’état de santé du Saint Prophète s’aggrava sérieusement, il demanda qu’on lui apportât du papier et un stylo (de l’encre) pour écrire quelque chose grâce auquel les gens éviteraient de s’égarer après lui, les Compagnons présents se mirent à se disputer à ce propos. Le Messager d’Allah leur fit remarquer qu’il était inconvenable de se quereller devant le Prophète. D’aucuns, répondirent: « Le Prophète délire! ». Le Prophète s’écria alors: « Allez-vous-en. J’ai raison quelle que soit la condition dans laquelle je me trouve, et tout ce que vous dites est faux. Laissez-moi seul. Allez-vous-en ».
Après quoi le Saint Prophète exprima ses trois volontés: 1- chasser tous les mécréants de la Péninsule Arabe; 2- entretenir les délégations venues de loin. Mais le narrateur ne mentionna pas la troisième volonté, ou l’oublia ».
Sa`îd Ibn Jubayr rapporte, dans « Musnad Ahmad Ibn Hanbal » et « Sahîh Muslim » ce témoignage de `Abdullâh Ibn Abbâs: « Quelle journée que celle de Jeudi! (Il se mit à pleurer tellement en évoquant cette journée que ses larmes coulaient sur ses joues comme un fil de perles). Puis, il expliqua que le Jeudi en question était le jour où le Saint prophète avait demandé: « Apportez-moi de quoi écrire quelque chose grâce auquel vous ne vous égarerez jamais après moi ». Mais hélas! Les gens dirent: « Il délire ».
Chahâb al-Dîn al-Khafâjî écrit dans « Nasîm al-Riyâdh » que selon la même version de ce hadith, c’est `Omar Ibn al-Khattâb qui dit: « Le prophète délire ».
Al-Chahristânî écrit pour sa part, dans son livre » al-Milal wa-l-Nihal »que la première dispute ou le premier différend qui avait éclaté entre les musulmans lors de la maladie du Prophète (P) est celui que Mohammad Ismâ`îl al-Bukhârî rapporta de `Abdullâh Ibn Abbâs dans son livre « Sahîh al-Bukhârî » et selon lequel, lorsque la maladie mortelle du Prophète s’aggrava, il (le Prophète) dit:
« Apportez-moi de l’encre et du papier afin que je vous écrive un document (testament) de crainte que vous ne soyez égarés après moi ». Entendant cela, `Omar dit: « Le Prophète parle ainsi, à cause de la gravité de sa maladie. Le livre d’Allah nous suffit ».
Lorsqu’une querelle s’ensuivit, le prophète dit: « Allez-vous-en et ne vous disputez pas devant moi ». C’est là, la raison pour laquelle `Abdullâh Ibn Abbâs dira souvent: « Quelle calamité que cette dispute-là! Elle fut l’obstacle entre nous et l’écrit du Prophète, et empêcha celui-ci d’écrire ».
Al-`Allâmah Chiblî al-No`mânî écrit: « Il y a le mot « Hajr »dans ce hadith et il signifie « Délire ». `Omar interpréta la demande du Saint Prophète comme un « délire » (« Al-Fârûq », p. 61). Nathîr Ahmad Dehlavî commentant cet événement écrit: « Ceux qui convoitaient la Khilâfah (Califat, la succession) contrecarrèrent le dessein du Prophète en provoquant la dispute et justifièrent leur opposition à la volonté du Prophète (de désigner par écrit son successeur légal) en arguant que le Livre d’Allah leur suffisait (pour éviter l’égarement), et que le Prophète n’étant pas en possession de tous ses sens, il n’était pas nécessaire de lui apporter de l’encre et du papier pour écrire des choses inutiles »(4).
Al-Ghazâlî écrit, concernant cette affaire lourde de conséquences pour tout l’avenir de la Ummah, tout au long de son histoire que, avant sa mort le Prophète d’Allah avait demandé à ses Compagnons de lui apporter de l’encre, du papier et un « stylo » afin qu’il puisse leur désigner, par écrit, celui qui méritera d’être leur Imam et Calife. Mais à ce moment-là, `Omar demanda aux personnes présentes d’ignorer la demande du Prophète, parce qu’il disait -- selon lui -- des choses insensées(5).
En bref, lorsqu’on refusa de donner au Prophète l’encre, le papier et le stylo, une dispute éclata entre les Compagnons. Abû Tharr, Salmân al-Farecî, al-Miqdâd et Ibn `Abbâs…etc qui étaient présents, s’opposèrent à ceux qui récusaient la volonté du Prophète de rédiger son testament. Les dames présentes à la maison, derrière le rideau, les blâmèrent, elles aussi, en leur disant: « Que vous arrive-t-il? Pourquoi n’écoutez-vous pas ce que le Saint Prophète vous demande? Pour l’amour d’Allah, apportez-lui ce qu’il demande ». Ecoutant ce blâme, `Omar dit; « Taisez-vous! Vous êtes comme les femmes de Yûsuf (Josef). Vous pleurez quand le Prophète est malade, et vous lui tapez sur les nerfs lorsqu’il est bien portant ». Lorsque le Prophète entendit ces propos de `Omar, il lui dit: « Ne les réprimande pas. Elles sont mieux que toi » (Al-Tabarânî).
Selon Rawdhat al-Ahbâb, le Prophète (P) lors de son agonie demanda à sa fille Fâtimah al-Zahrâ’ d’appeler ses fils, ce qu’elle fit tout de suite. Les deux petits-fils, après avoir présenté leurs respects à leur grand-père, s’assirent à ses côtés, et le voyant agonisant, ils se mirent à pleurer si douloureusement que l’assistance ne put s’empêcher de pleurer à son tour. Al-Hassan mit sa joue contre la joue du Prophète et al-Hussayn mit sa tête sur sa poitrine. Le prophète lui-même ne put retenir ses larmes devant cette scène pathétique. Puis il fit venir son cher « frère », Ali. A son arrivée, Ali prit place devant la tête du Prophète. Lorsque celui-ci releva la tête, Ali se rapprocha et la posa sur son bras. Le Prophète dit: « Ali, j’ai emprunté une grosse somme à un certain Juif pour les équipements de l’armée de Usâmah. Rends-la-lui. O Ali! Tu seras le premier à venir auprès de moi au Bassin d’al-Kawthar (le Paradis), mais tu auras beaucoup d’ennuis et de troubles après moi. Fais-y face avec patience, et quand tu auras remarqué que les gens ont choisi de s’attacher au monde d’ici-bas, tu devras t’occuper de l’Au-delà »(6)
. On peut lire également dans « Madârij al-Nubuwwah » que Fâtimah al-Zahrâ, était très choquée et affectée par la mort du Prophète et qu’elle pleurait et se lamentait douloureusement. Al-Muhaddith Dehlavî écrit dans son livre « Mâ Thabata bi-l-Sunnah » qu’elle vécut beaucoup d’événements tragiques après la mort de son père. Elle les décrivit dans un couplet qui se résume ainsi:
« Si les drames qu’elle avait vécus tombaient sur le jour, celui-ci se transformerait en nuit ténébreuse ».
D’après l’auteur de « Rawdhat al-Ahbâb », Fâtimah al-Zahrâ’ n’était jamais vue souriante depuis le décès du Prophète (P).
Il est écrit dans « Tabaqât Ibn Sa`d » que la tête du Prophète reposait sur le genou d’Ali au moment de sa mort. Al-Hâkim écrit dans son « Mustadrak » qu’avant de rendre son dernier soupir, le Prophète confia des secrets à Ali et lui divulgua des mystères.
Selon `Abdullâh Ibn Abbâs, cité par `Abdul-Barr dans son « Isti`âb »:
« Ali avait quatre distinctions qu’aucun de nous ne possédait. Tout d’abord il était la première personne à gagner l’honneur de prier avec le Saint Prophète. En deuxième lieu, il était le seul porte-drapeau du Prophète dans toutes les batailles. En troisième lieu, lorsque dans les guerres saintes les gens s’enfuyaient, laissant le Prophète derrière eux, Ali restait imperturbable à ses côtés. Quatrièmement, Ali était celui qui a fait le bain funéraire (ghusl al-Mayyet) du Saint Prophète et qui descendit son corps dans le tombeau ».
Selon les sources des adeptes d’Ahl-ul-Bayt, le Saint Prophète rendit l’âme le lundi 28 ?afar de l’an 11 Hégire(7). Sa mort donna lieu à des scènes de lamentations, de gémissements et de manifestation de douleur chez les membres de sa famille, ses proches et ses vénérables Compagnons. Abû Tharr, Salmân al-Farecî, al-Miqdâd et `Ammâr, ainsi que d’autres fidèles Compagnons pleuraient à chaudes larmes. L’histoire montre qu’Abû Tharr al-Ghifârî était durablement affecté par la disparition du Prophète. Mais il gardera une fidélité à toute preuve à la mémoire de son bien-aimé, à ses commandements, à ses enseignements et à sa volonté, fidélité qui lui coûtera très cher et le condamnera à l’exil et au bannissement, car, il n’oubliera à aucun moment de rappeler à l’ordre les gouvernants de l’Etat islamique, en invoquant les Traditions du Prophète dont il était le meilleur témoin. Manazir Ihsân al-Guilanî écrit à ce propos: « Dans la plupart des biographies d’Abû Tharr, bien qu’il y ait des indices de l’immensité de la douleur qu’il éprouva à la mort du Prophète, douleur sans laquelle un croyant ne saurait être considéré comme un vrai croyant, certains événements ou certaines scènes présentent un beau portrait de l’amour réciproque entre l’amoureux et le bien-aimé devant notre mémoire visuelle » (« Al-Ichtirâkî al-Zâhid », p. 90).
Au moment du décès du Saint Prophète, Abû Bakr était chez lui à Sakh, distant d’un mile de Médine. `Omar se déploya pour empêcher la propagation de la nouvelle de la mort du Messager d’Allah, et lorsqu’Abû Bakr arriva, ils allèrent tous les deux à Saqîfat Banî Sâ`idah, distante de trois miles de Médine. Ils furent accompagnés d’Abû `Ubaydah Ibn Jarrah qui était laveur de profession. Les principaux Compagnons se rendirent eux aussi à Saqîfah pour se disputer à propos de la succession du Saint prophète, sans se soucier de son corps et de son enterrement. Ali qui resta aux côtés du corps du Saint Prophète s’en occupa. Il se chargea du lavage du corps, alors que Fadhl Ibn Abbâs maintenait sa basque relevée, al-Abbâs et Qathm tournaient le corps, et `Usâmah et Chaqrân versaient l’eau. Après que le corps fut lavé et mis en linceul, Abû Talhah creusa le tombeau. Ali dirigea la prière du mort, puis descendit dans le tombeau pour y poser le corps du Saint Prophète. Ensuite il recouvrit le tombeau avec de la terre en se lamentant. Abû Bakr, `Omar et d’autres Compagnons ne purent donc assister aux cérémonies funéraires, car après leur retour de Saqîfah, le Prophète (P) était déjà inhumé(8).
Le Saint Prophète mourut à l’âge de 63 ans. (« Abu-l-Fidâ », Vol. 1, p. 152)
Notes :
[1] Rapporteurs des Traditions (Hadith) du Prophète.
[2] Voir: "Izâlat al-Khifâ", Vol. 1, p. 514 et "Rawdhat al-C,afâ", Vol.2, p. 215.
[3] Pour des raisons tribales, claniques et politiques dont on parlera plus loin
[4] "Ummahât al-Ummah", p.92.
[5] "Sirr-ul-`A^lamîn, Charh Muslim Novi", Vol. 2.
[6] "Madârij al-Nubuwwah", Vol., et "Ta'rîkh Baghdâd", Vol. 11.
[7] Voir "Mawaddat al-Qurabâ", p. 49, imprimé à Bombay en l'an1310 H.
[8] Kanz al-`Ummâl", Vol. 3, p. 140; "Arjah al-Matâlib", p. 670; "Fat-h al-Bârî", Vol. 6, p. 4.
Le Transfert de la Succession du Saint Prophète
Après la mort du Prophète, ceux parmi les Compagnons qui n’étaient pas d’accord sur le sermon de Ghadîr Khum concernant la succession, et qui ne voulaient pas que `Ali fût le successeur du Messager d’Allah, prient se hâtèrent de se réunir à la Saqîfah de Bâni Sâ`idah pour régler, eux-mêmes, la question de la succession et choisir un successeur à leur convenance. Beaucoup d’historiens, d’analystes et de traditionnistes expliquent cette hâte avec laquelle les promoteurs de la réunion de Saqîfah voulaient régler la question de la succession du Prophète avant même qu’il ne fût enterré, comme étant leur volonté de prendre la Ummah de court et de la mettre devant le fait accompli. Le nombre de personnes réunies -- y compris les Immigrants et les Partisans -- à Saqîfah était d’environ 200. On convint dans cette réunion de fonder un gouvernement dont le chef fut choisi parmi les participants. Après la réunion et à leur retour à Médine le Saint Prophète était déjà inhumé. Les promoteurs de la réunion se mirent à demandèrent aux gens de prêter serment d’allégeance au Calife ainsi désigné afin de donner une apparence de démocratie et de légitimité au gouvernement. Ils obligèrent non seulement des honorables Compagnons, mais même les membres des Ahl-ul-Bayt, et d’une manière révoltante, à se soumettre à leur mascarade.
L’essentiel de cette histoire indigne se résume ainsi: on demanda à `Ali Ibn Abi Tâlib à prêter serment d’allégeance, de gré ou de force. Devant son refus, la police califale l’emmena à la Cour, une corde au cou(9). La maison de Fâtimah al-Zahrâ’ où il se trouvait lors de son arrestation, fut incendiée(10). La porte de la maison avait été forcée et tombée sur Fâtimah, lors de l’intervention policière, ce qui lui occasionna une fausse couche (elle était enceinte d’un enfant mâle) (Voir « al-Milal Wal-Nihal » d’al-Chahristânî).
Sur le même sujet, al-`Allâmah Mullah Mu`în Kâchifî écrit qu’à cause du choc qu’elle reçut lorsqu’on força la porte de sa maison, Fâtimah tomba malade et ne tarda pas à succomber à cette maladie(11).
De la même façon, tous ceux qui avaient refusé de prêter serment d’allégeance à Abû Bakr furent forcés sans ménagement et d’une main de fer, de reconnaître le califat d’Abû Bakr. Certains d’entre eux furent sauvagement battus, comme Salmân al-Fârecî que le Prophète avait inclus dans les membres d’Ahl-ul-Bayt en raison de sa piété exceptionnelle et de sa position particulière auprès de lui. Il reçut tellement de coups que son cou resta tordu pour le reste de sa vie.
Voici les noms de ceux des Compagnons qui se trouvaient à Médine et qui refusèrent de prêter serment d’allégeance à Abû Bakr:
- L’Imam `Ali
- Abû Tharr al-Ghifâri
- Salmân al-Fârecî
- `Ammâr Ibn Yâcir
- Al-Miqdâd Ibn al-Aswad
- Khâlid Ibn Sa`ïd
- Burayda Aslamî
- Ubay Ibn Ka`b
- Huthaymah Ibn Thâbit
- Suhayl Ibn Hanîf
- `Othmân Ibn Hanîf
- Abû Ayyûb al-Ançârî
- Huthayfah Ibn al-Yamân
- Sa`d Ibn `Obaydah
- Qays Ibn Sa`d
- `Abdullâh Ibn `Abbâs
- `Abbâs Ibn `Abdul-Muttalib
- `Abdul Haytham Ibn Tayhân
- Jâbir Ibn `Abdullâh
- `Abdullâh Ibn Thâmit
- `Ubayd Ibn Thâmit
- Abû Sa`ïd Khudarî
(Voir « Tabçarat al-`Awâm », p. 24, et « `Ayn al-Hayât », p. 5).
Il est dit dans la page 43 de « Tabçarat al-`Awâm » que quelques jours plus tard, Sa`d Ibn `Obaydah fut tué par une flèche pour avoir refusé de prêter serment d’allégeance.
En tout état de cause, cette politique sauvagement répressive contre des Compagnons éminents se poursuivit après la mort du Saint prophète. Certains historiens écrivent que la terre de Fadak, propriété légale des Ahl-ul-Bayt leur fut confisquée uniquement à cause de leur refus de prêter serment d’allégeance. Ils affirment, diverses preuves irréfutables à l’appui, que le Califat était un droit inaliénable de `Ali et il aurait dû lui revenir. `Ali lui-même explique et énumère les détails des arguments de son droit inaliénable au Califat, dans son très célèbre sermon « al-Chiqchiqiyyah » qui fait partie de son chef-d’oeuvre « Nahj al-Balâghah ».
Il y dit clairement que le Califat était son droit confisqué, et il y explique, comme le fait Ibn al-Athîr dans « al-Nihâyah », comment il avait essayé vainement de faire valoir ce droit.
Nous essayons ci-après d’extraire de « Târikh-é-Ahmadî » un résumé de cet événement tragique et lourd de conséquence, dont avaient tant souffert les descendants du Saint Prophète et ses plus fidèles Compagnons, seulement deux semaines, après la mort du Messager d’Allah, et de mettre en évidence le rôle joué par Abû Tharr dans cette conjoncture.
Selon « Ta’rîkh Ibn Jarîr », `Omar était présent à Médine au moment de la mort du Saint Prophète, tandis qu’Abû Bakr se trouvait chez lui dans le village de Sakh.
Lorsque le Prophète décéda `Omar dit: « D’après la présomption des Hypocrites le Prophète est mort, mais moi, je jure par Allah qu’il est vivant ».
Selon « al-Milal Wal-Nihal » d’al-Chahristânî, `Omar menaça de tuer avec sa propre épée quiconque dit que le Prophète est mort. Ce récit est rapporté dans bien d’autres références telles que: « Ta’rîkh `Abul-Fidâ », Vol. 1, p. 164; « Al-Tabaqât al-Kubrâ », Vol. 2, p. 271; « Sunan Ibn Mâjah », Vol !, p. 571, Hadith 1618; « Musnad Ahmad Ibn Hanbal », Vol. 1.
Selon Rawdhat al-Ahbâb les gens commencèrent à avoir des doutes sur la mort du Prophète lorsqu’ils entendirent la menace de `Omar.
Abû Bakr qui était chez lui à ce moment-là, se rendit à Médine dès que la nouvelle de la mort du Prophète lui fut parvenue.
Lorsqu’il arriva à Masjid al-Nabî, il remarqua que les gens étaient dans la confusion. Selon « Ta’rîkh `Abdul-Fidâ », en voyant les gens dans cet état, Abû Bakr se mit à réciter le verset suivant: « Mohammad n’est qu’un Prophète; des prophètes ont vécu avant lui.
Reviendriez-vous sur vos pas s’il mourait, ou s’il était tué? » (sourate `Ale `Imrân, 3;144). Ayant entendu réciter ce verset, les gens eurent la conviction que le Saint Prophète était mort. Aussi accoururent-ils à Saqîfah Banî Sâ`idah.
Selon « Ta’rîkh Ibn Khaldûn », lorsqu’Abû Bakr arriva à Saqîfah, il dit; « Nous sommes les Compagnons et les proches du Prophète.
Aussi, sommes-nous à ce titre mieux placés que quiconque pour accéder au Califat ».
Selon « Ta’rîkh al-Tabarî » d’Ibn Jarîr, `Omar dit alors à Abû Bakr: « Tends ta main pour que je te prête serment d’allégeance ». Abû Bakr répondit: « Non! C’est à toi de tendre ta main car tu es à tous égards plus puissant que moi ». Cet échange d’invitation au Califat entre les deux hommes dura un certain temps. A la fin `Omar tira la main d’Abû Bakr, y mit la sienne, lui promit loyauté et lui dit: « Tu pourras compter sur ma force, conjuguée avec la tienne ».
Dans « Ta’rîkh al-Kâmel » d’Ibn al-Athîr, il est dit que `Omar et d’autres promirent loyauté à Abû Bakr, mais que tous les Ançar (les Partisans médinois) ou certains d’entre eux déclarèrent: « Nous ne prêterons de serment d’allégeance à personne d’autre que `Ali ».
« Ta’rîkh Khamis », note que lorsqu’Abû Bakr s’était soulagé des formalités de la prestation du serment d’allégeance, il quitta Saqîfah pour retourner au Masjid al-Nabî où il prit place sur la chaire, pour recevoir le serment d’allégeance de ceux qui ne l’avaient pas fait à Saqîfah. Cela dura jusqu’à la fin de la journée, et les gens manquèrent ainsi d’assister aux cérémonies de l’enterrement du Saint prophète. C’était le mardi soir.
Selon « Kanz al-`Ummâl » citant `Urwah, « Abû Bakr et `Omar n’étaient pas présents à l’enterrement du Saint Prophète. Ils se trouvaient dans le rassemblement des Ançâr (Saqîfah Banî Sâ`idah), et le prophète fut inhumé avant leur retour ».
Selon « al-Nihâyah » d’Ibn al-Athîr al-Jazarî, « Majma` al-Bihâr » de Molla Tâhir Qutnî et « al-Milal Wa-l-Nihl » d’al-Chahristânî, `Omar dira plus tard à propos de la prestation de serment d’allégeance à Abû Bakr « C’était une erreur dont Allah nous a épargné les mauvais effets ».
D’après « Ta’rîkh `Abul-Fidâ » un groupe de Hâchimites ainsi qu’Abû Tharr, Zubayr Ibn al-`Awwâm, al-Miqdâd Ibn `Amr, Salmân al-Fârecî, `Ammâr Ibn Yâcir, al-Barâ’ Ibn Athîb etc. qui étaient dans le camp de `Ali, s’abstinrent de prêter serment d’allégeance à Abû Bakr.
Selon « al-Istî`ab » de `Abdul-Barr, lorsqu’on demanda aux gens de promettre loyauté à Abû Bakr, `Ali ne le fit pas et resta à la maison.
« Murûj al-Thahab » d’al-Mas`ûdî, fait remarquer que le jour de Saqîfah où on prêta serment d’allégeance à Abû Bakr, `Ali dit à ce dernier: « Tu as détruit notre affaire, tu ne nous as pas consultés et tu n’as pas respecté notre droit ». Abû Bakr lui répondit: « Ton grief est justifié, mais j’ai agi ainsi par crainte d’une révolte ».
Selon « Rawdhat al-Ahbâb », losqu’Abû Bakr finit de recevoir la prestation d’allégeance, il convoqua `Ali par l’intermédiaire de certains Muhâjirîn et Ançar. `Ali se présenta et lui demanda: « Pourquoi m’a-t-on convoqué? ». `Omar dit: « Tu as été convoqué pour que tu prêtes serment d’allégeance à l’instar des autres ». `Ali répondit:
« J’invoque à votre égard le même argument que vous avez invoqué devant les Ançâr pour justifier votre prétention au Califat »(12). `Omar ignorant les remarques de `Ali, lui dit: « Nous ne te laisserons pas partir d’ici avant d’avoir prêté serment d’allégeance ». `Ali rétorqua: « Réponds d’abord à mon observation, et par la suite tu pourras me demander de prêter serment d’allégeance ». Abû `Obaydah al-Jarrâh intervint: « O Abul-Hassan (surnom de `Ali)! Tu es le seul à mériter le Califat et le gouvernement en raison de ta préséance dans l’Islam et de ta proche parenté avec le Prophète, mais étant donné que les Compagnons ont accepté Abû Bakr, il vaut mieux que tu te joignes à eux ». `Ali répondit: « O Abû `Obaydah! Tu veux transférer ailleurs la grande bénédiction qu’Allah a placée chez la Famille du Prophète! Ecoute! Nous sommes le lieu de la descente de la Révélation, le siège de l’arrivée des Commandements et des Interdictions, la source de la vertu et du savoir, la mine de la sagesse et de l’endurance ». Un autre Compagnon, Bachîr Ibn Sa`ïd tenta à son tour de faire infléchir `Ali:
« O Abul-Hassan! Lorsque nous avons remarqué que tu es resté à la maison (du fait que tu n’as pas assisté à Saqîfah) nous avons présumé que tu avais renoncé au Califat ». `Ali lui dit: « Tes amis estiment-ils qu’il était convenable de laisser le corps du Saint prophète sans lavage, sans mise en bière et sans inhumation, pour pouvoir venir disputer le Califat? ».
Selon « Usud al-Ghâbah », `Ali évoqua à ce moment-là ce que le Prophète lui avait dit un jour: « O `Ali! Tu es comme la Ka`bah vers laquelle tout le monde doit se diriger, alors qu’elle, elle ne va vers personne (c.-à-d. qu’elle reste à sa place). Ainsi, si les gens venaient vers toi pour te prêter serment d’allégeance, accepte leur démarche. Ne vas donc pas vers eux, mais attends jusqu’à ce qu’ils viennent vers toi ».
Selon « Rawdhat al-Ahbâb », Abû Bakr ayant remarqué que les arguments avancés par `Ali étaient indiscutables, solides et irréfutables, il lui dit aimablement: « O Abul-Hassan! J’avais présumé que tu ne me refuserais pas ton allégeance. Si j’avais su que tu allais refuser de me prêter serment d’allégeance, je n’aurais pas accepté le Califat. Maintenant, les gens m’ont prêté serment d’allégeance, tu devrais faire comme eux. Mais si tu hésites là-dessus, je ne te blâme pas ». Sur ce, `Ali se leva et retourna à la maison.
Selon « al-`Iqd al-Farîd » de Chahâb al-Dîn Ibn `Abd Rabbih al-Andulsî, les Compagnons qui refusaient de prêter serment d’allégeance à Abû Bakr étaient: `Ali, Al-`Abbâs, Zubayr et Sa`d Ibn `Ubâdah. `Ali, al-`Abbâs et Zubayr restèrent dans la maison de Fâtimah jusqu’à ce que Abû Bakr envoyât `Omar pour les faire sortir, sous la menace de l’épée, s’il le fallait. `Omar se présenta à la porte de la maison de Fâtimah avec du feu pour l’incendier. Lorsque Fâtimah vit ce qui se passait, elle lui dit: « O fils de Khattâb! Es-tu venu pour mettre le feu dans ma maison?! ». `Omar répondit: « Bien sûr, je suis venu dans cette intention, sauf si ceux qui s’y réfugient sortent en promettant leur allégeance à Abû Bakr ». Ta’rîkh Abul-Fidâ rapporte cette même version des faits.
Selon « Ta’rîkh al-Tabarî » d’Ibn Jarîr, `Omar se présenta à la maison d’al-Murtadhâ (surnom de l’Imam `Ali) où se trouvaient Talhah, Al-Zubayr et quelques autres Emigrants à l’adresse desquels il s’écria: « Par Allah! Je vais brûler la maison, à moins que vous ne sortiez pour prêter serment d’allégeance ».
Selon « Al-Imâmah wal-Siyâsah » d’Ibn Qutaybah Dînûrî, lorsqu’Abû Bakr constata l’absence du groupe des partisans de `Ali parmi les gens qui lui avaient prêté serment d’allégeance, il envoya `Omar pour les lui amener. Ces gens qui se trouvaient dans la maison de `Ali, refusèrent de sortir. `Omar fit apporter des fagots et s’écria: « Sortez, sinon par Allah, je brûlerais les gens qui s’abritent dans la maison en y mettant le feu ». Ces gens lui firent remarquer: « Fâtimah, la fille du Prophète y est aussi ». `Omar répondit: « Peu importe ». En entendant cette menace sérieuse tout le monde sortit de la maison, sauf `Ali qui s’adressa aux gens envoyés par ABû Bakr: « O Emigrants! J’ai droit au Califat plus que personne à tous égards. D’ailleurs vous devez prêter serment d’allégeance à moi. Ecoutez-moi bien. Vous avez obtenu le Califat en brandissant contre les Partisans l’argument de votre lien de sang avec le Prophète, et maintenant vous essayez d’écartez ce Califat des Gens de la Maison du Prophète (Ahl-ul-Bayt).
N’avez-vous pas invoqué l’appartenance du Prophète à votre tribu pour faire valoir votre priorité sur les Partisans (Ançâr)?
Maintenant je retourne contre vous l’argument que vous avez brandi contre les Partisans, à savoir que nous les Ahl-ul-Bayt, sommes plus proches parents que vous à tous égards, et ce, aussi bien de son vivant qu’après sa mort. Soyez donc justes et aimables, si vous croyez en Allah et que vous Le craigniez. O Emigrants! Rappelez-vous Allah et ne transférez pas la direction du Message du Prophète de sa Maison vers les vôtres ». Ensuite Fâtimah dit du seuil de sa porte: « O gens! En nous laissant le corps du Prophète, vous avez détourné en votre faveur l’affaire du Califat, ignorant notre droit ».
Selon « Ta’rîkh Ibn Qutaybah », `Omar dit à Abû Bakr après le refus de `Ali de prêter serment d’allégeance: « Pourquoi n’arrêtes-tu pas `Ali pour refus de prestation de serment d’allégeance? ». Abû Bakr, envoya alors son esclave Qanfaz pour convoquer `Ali. Qanfaz dit à `Ali: « Le Calife du Prophète d’Allah te demande ». `Ali répondit:
« Les tiens ont trahi si vite le Prophète ». Qanfaz retourna chez Abû Bakr et répéta devant lui ce qu’il avait entendu de la bouche de `Ali. Abû Bakr se mit alors à pleurer pendant un certain temps. `Omar demanda à Abû Bakr une seconde fois: « Ne laisse pas de répit à `Ali qui refuse de te prêter serment d’allégeance ».
Abû Bakr ordonna à Qanfaz de retourner chez `Ali et de lui dire: « Le Commandeur des Croyants t’appelle pour que tu lui prêtes serment d’allégeance ». Qanfaz transmit le message d’Abû Bakr à `Ali, lequel lui dit: « Allah soit loué! Ton maître s’est attribué une parenté avec laquelle il n’a rien à avoir ». Qanfaz répéta devant Abû Bakr les propos de `Ali, et Abû Bakr se mit à pleurer de nouveau. `Omar se leva alors, et se faisant accompagner de quelques hommes, il se dirigea vers la maison de Fâtimah et frappa à sa porte. Fâtimah, exaspérée, se mit à pleurer et à crier: « O mon père! O Prophète d’Allah! Quels troubles nous causent le fils de Khattâb (`Omar) et le fils de Quhâfah (Abû Bakr) ».
Lorsque les gens accompagnant `Omar entendirent les lamentations de Fâtimah, la plupart d’entre eux repartirent, les larmes aux yeux. Seuls quelques-uns d’entre eux restèrent derrière `Omar. `Ali sortit alors de la maison de Fâtimah et les accompagna chez Abû Bakr. Là, ce dernier lui demanda de prêter serment d’allégeance.
`Ali lui dit: « Et si je ne le fais pas?! ». Abû Bakr répondit: « Par Allah nous te tuerons ». `Ali dit: « Allez-vous tuer celui qui est le serviteur d’Allah, frère du Messager d’Allah? ». `Omar répondit: « Nous admettons que tu es un serviteur d’Allah, mais nous ne reconnaissons pas que tu sois aussi le frère du Prophète ». Abû Bakr était resté silencieux pendant cet échange de propos. `Omar lui dit alors: « Pourquoi ne donnes-tu pas tes ordres et pourquoi restes-tu assis sans faire quelque chose? ». Abû Bakr répondit: « Je ne forcerai pas `Ali à prêter serment d’allégeance tant que Fâtimah est vivante ».
Sur ce, `Ali se leva, et sortant de chez Abû Bakr, il se dirigea vers le tombeau du Prophète, à qui il adressa ses complaintes: « O frère! Les gens de la tribu m’ont insulté tellement, et ils allaient même me tuer…! ».
Abû Tharr voyait toutes ces choses incroyables se dérouler sous ses yeux. Le sermon de Ghadîr Khum était ancré dans son esprit. Il imaginait mal que de tels écarts puissent survenir alors que le Prophète venait à peine d’être enterré. Ne supportant plus ce qui se passait, médusé, indigné, sa foi et son amour indéfectible pour la justice, le poussèrent à agir et à réagir. Il se dirigea donc à Masjid al-Nabî, l’esprit révolté, le sang en ébullition. Une fois arrivé à la Mosquée (Masjid al-Nabî) il y vit un rassemblement autour d’Abû Bakr et de `Omar. Il prit place sur un terrain élevé et fit le discours suivant: « O gens de Quraych! Que vous arrive-t-il?
Etes-vous inconscients! Vous avez totalement ignoré les proches parents du Saint Prophète! Par Allah, un groupe d’Arabes a apostasié et a suscité des doutes dans la Foi. Ecoutez-moi! Le Califat est le droit des Ahl-ul-Bayt. Cette violence et ces querelles sont injustifiées. Que vous arrive-t-il? Vous estimez capable celui qui est incapable, et incapable celui qui est capable. Par Allah, chacun de vous sait ce que le Prophète a déclaré à maintes reprises, à savoir: « Le Califat et la direction reviendront après ma disparition à `Ali, puis à al-Hassan, puis à al-Hussayn et après à ma progéniture infaillible ».
Vous avez ignoré la parole du Prophète et le Commandement d’Allah! Vous avez oublié votre engagement et votre promesse. Vous avez obéi aux impératifs de ce monde éphémère et vendu la Vie future qui est éternelle et dans laquelle le jeune ne vieillira pas, les bénédictions seront inépuisables, l’affliction et la tristesse n’auront pas d’existence, et à laquelle l’Ange de la mort n’aura pas d’accès. Oui, vous avez vendu cette inestimable chose pour presque rien. Vous avez fait ce que les peuples des Prophètes précédents avaient fait. Ils rompirent leur allégeance et abandonnèrent leur foi après la mort de leurs Prophètes respectifs. Ils résilièrent les conventions, modifièrent les Commandements et métamorphosèrent la foi. Vous vous êtes montrés semblables à eux. O gens de Quraych! Vous ne tarderez pas à subir les conséquences de vos agissements inconvenables et la punition de votre mauvaise action. Ce que vous avez lancé à travers votre conduite se retournera contre vous. Rappelez-vous! Ce qui vous arrivera, vous l’aurez mérité et sera juste, car Allah n’est pas injuste envers Ses serviteurs » (« Al-Ichtirâkî al-Zâhid », p. 113).
Ce discours montre le courage d’Abû Tharr et confirme le trait principal de son caractère et de sa conduite, à savoir: dire la vérité sans craindre rien ni personne, et ce, quelles que soient les circonstances. En effet, Abû Tharr fit ce discours à un moment où personne n’osait prononcer un mot contre le Pouvoir. L’armée du Calife s’acharnait sur tous les Compagnons qui faisaient preuve d’une velléité d’opposition à l’arrangement de la Saqîfah. Quiconque refusait de prêter serment d’allégeance était décapité. Quiconque hésitait à le faire, était muselé. Un homme aussi courageux et aussi prestigieux que `Ali fut pourtant emmené, le cou attaché à une corde, et un Compagnon éminent aussi intouchable que Salmân al-Farecî fut tellement battu qu’il en gardera des séquelles jusqu’à la fin de sa vie.
Cheikh `Abbâs al-Qummî écrit que Fâtimah, la fille du Prophète, était morte des suites de sa maladie provoquée par la chute sur elle, de la porte de sa maison lorsque celle-ci fut attaquée par les hommes du Calife, venus chercher `Ali pour l’obliger à prêter serment d’allégeance. Selon la volonté et le testament de Fâtimah, `Ali n’informa pas ceux qui avaient troublé la vie de la fille du Prophète, de la mort de celle-ci(13). Lorsqu’il finit de laver le corps de son épouse (Fâtimah), il demanda à son fils al-Hassan d’aller appeler Abû Tharr pour l’aider à l’inhumer. (« Safinat al-Bihâr » de Cheikh `Abâs al-Qummî, Vol. 1, p. 483).
Al-Hâfidh Muhammad Ibn `Ali Ibn Chahr ?chûb (mort en 588 H) écrit que la prière funèbre sur Fâtimah fut accomplie par `Ali, al-Hassan et al-Hussayn. Selon une autre version, s’ajoutent à ces noms ceux de `Abbâs Ibn `Abdul-Muttalîb, al-Fadhl, Huthayfah, et Ibn Mas`ûd (« Manâqib ibn Chahr ?chûb », Vol., p. 62, imprimé à Multan).
Notes :
[9] Voir "Rawdhat al-Ahbâb".
[10] Ta'rîkh al-Tabarî", "Ta'rîkh al-Imâmah wa-l-Siyâsah", "Mir'ât al-`Uqûl".
[11] "Ma`ârij al-Nubuwwah", Rukn 4, Chap. 3, p. 42).
[12] Les Compagnons du Prophète, présents à Saqîfah appartenaient à deux groupes principaux: Les Muhâjirîn (les Emigrants mecquois) et les Ançâr (les Partisans médinois). Les Ançâr voulaient que le successeur du Prophète soit l'un d'entre eux, et les Emigrants demandaient la même chose, chacun des deux groupes avançant ses propres arguments pour affirmer son droit au Califat. Les Emigrants invoquèrent leur lien de sang avec le Prophète (l'appartenance à la tribu de Quraych) pour imposer leur point de vue. Or, l'Imam `Ali était beaucoup plus proche du Prophète qu'Abû Bakr, car il était son cousin germain, et tous les deux (le Prophète et `Ali) faisaient partie de la même branche ou du même clan (les Hâchimites).
[13] Parce qu'elle avait estimé sans doute qu'ils étaient indignes d'assister à ses funérailles, après tous les mauvais traitements qu'ils lui avaient réservés, ainsi qu'à son mari.