A l'âge de quarante ans, alors que Mohammad passait le mois de Rajab, comme il en avait l'habitude, dans la solitude solennelle de la grotte de la montagne de Hirâ', priant, jeûnant et méditant sur la conception divine et sur la régénération humaine, il entendit subitement une voix qui rompit le silence profond et l'atmosphère calme de la nuit du 27 de ce mois-là pour l'appeler par son nom. Il regarda autour de lui, mais il ne vit personne.
Il entendit de nouveau la même voix et un flot de lumière d'une splendeur éblouissante se présenta devant lui. Il vit tranquillement une forme humaine s'approcher de lui. C'était l'Ange Gabriel qui venait calmement vers Mohammad, tenant devant lui un rouleau de soie et lui demandant de lire ce qui y était écrit. Mohammad s'étonna: «Que devrais-je lire?» Là, l'Ange pressa Mohammad fort contre lui de sorte qu'il fût humecté de sueur. Il sentit alors son esprit s'illuminer d'une lumière céleste, et ses yeux s'ouvrir pour lire ce qui était écrit sur le rouleau. Aussi put-il réciter:
«Lis au Nom de ton Seigneur Qui a créé. IL a créé l'homme d'un caillot de sang. Lis! Car ton Seigneur est le Très Généreux, Qui a instruit au moyen du calame. IL a appris à l'homme ce qu'il ne savait pas». (Sourate al-'Alaq, 96: 1-6).
Lorsqu'il eut fini la récitation, le messager céleste annonça: «Ô Mohammad! En vérité, tu es le Prophète de Dieu et je suis Son Ange Gabriel!».
Ce fut la première révélation du Ciel à Mohammad, et le premier passage du Livre Céleste, le Coran, descendu sur lui. L'Ange Gabriel partit. Les mots qu'il avait demandé à Mohammad de lire restèrent gravés dans le cœur du Prophète.
Ne sachant pas avec certitude si tout ce qui s'était passé cette nuit était la réalité, et si son désir profond de ramener l'humanité égarée vers le droit chemin et de restaurer la vraie adoration du Tout-Puissant Allah, telle qu'elle avait été pratiquée par les adeptes d'Ibrâhîm, avait été exaucé, ou si ce n'était qu'une pure illusion, il retourna troublé à la maison, tôt le lendemain matin.
Sur le chemin du retour il entendit des voix: «Que la paix soit sur toi! Ô Prophète d'Allâh!», comme si elles sortaient des pierres et des arbres. Les mots du rouleau de soie revinrent alors à son esprit et il sentit qu'il avait reçu l'ordre de promulguer l'Unicité Divine.
Il arriva enfin à la maison, tremblant, comme s'il avait peur, et il dit à sa femme Khadîjah: «Cache-moi! Cache-moi!». Elle le couvrit promptement et lui demanda tendrement la cause de ce comportement inhabituel. Il lui raconta tout ce qu'il lui était arrivé. Khadîjah reçut la nouvelle avec une grande joie, étant donné qu'elle croyait déjà en Un Dieu Unique et qu'elle reniait le polythéisme. Elle savait déjà que son vieux et vénérable cousin, Waraqah Ibn Nawfal, croyait Mohammad prophète. Aussi accourut-elle pour l'informer de l'événement en détail.
L'ayant écoutée attentivement s'écria: «Quddûsun! Quddûsun! Ceci était al-Namûs al-Akbar qui vint à Moïse», et il crut volontiers à tout ce qui lui avait été communiqué, affirmant qu'à son avis tel était le mode habituel de la Révélation. Il dit que de même qu'aux époques antérieures Dieu avait envoyé Gabriel pour faire des révélations aux grands prophètes, de même Gabriel était envoyé à présent par Allâh à Mohammad.(1)
Waraqah Ibn Nawfal connaissait très bien l'hébreu et était versé dans la connaissance des Ecritures juives et chrétiennes. Ayant lu dans ces livres sacrés des prophéties sur le futur prophète, il trouva que les traits caractéristiques de Mohammad correspondaient parfaitement, dans tous leurs détails, aux dites prophéties; aussi crut-il en lui comme étant le Prophète Promis.
La date de la première révélation fut, selon plusieurs historiens, le 27 Rajab (610 après J. -C.)(2), un lundi. Selon d'autres, ce fut le 17, le 18 ou le 19 Ramadhân, ou bien le 12 Rabî' al-Awwal. Il n'y a pas de différend concernant le jour de la semaine.
La mission de Mohammad est considérée généralement comme ayant commencé à cette date, qui marque le début d'une ère qu'on appelle l'année de la Bi'thah (Mission). A partir de là, et quelque temps après la première révélation, une succession de révélations lui furent faites tout au long de sa vie.
Les Révélations
Les révélations furent reçues de plusieurs manières: parfois comme une impression faite par l'action divine sur l'esprit du Prophète pendant son sommeil, parfois l'Ange Gabriel apparaissait soit sous forme humaine pour lui communiquer la révélation, soit sous sa forme angélique réelle, tout en restant invisible pour tous les autres yeux que ceux du Prophète; parfois le Prophète se trouvait dans un tel état d'esprit et de nerfs qu'il était insensible à toutes les apparences extérieures et qu'il avait une pâleur sur le visage qui reflétait une intense anxiété.
Ce mode de révélation était d'autant plus pénible que même par un jour très froid son front était humecté de sueur dans ces moments-là. Le temps ou les circonstances de la révélation variaient également. Ainsi, parfois, il recevait des révélations même lorsqu'il se trouvait à cheval ou sur le dos de sa mule ou de son chameau.
Les Premiers Croyants(3)
On a déjà noté que Khadîjah crut à la mission prophétique de son mari dès son début. Le cousin du Prophète, 'Alî âgé alors d’environ dix ans, le suivit ensuite aussi rapidement que Khadîjah. Puis Zayd Ibn Hârith, l'esclave affranchi qui vivait sous le même toit que Mohammad, embrassa sa foi.
«En fait, Ibn 'Abbâs, Anas, Zayd Ibn Arqam, Salmân al-Farecî et bien d'autres affirmèrent qu'il ('Alî) avait été le premier à embrasser l'Islam, et selon certains, il y a même un consensus sur cette question». ("History of Califat", p. 171, la traduction anglaise de Major Jarret de "Târîkh al-Kholafâ'" d'al-Suyûtî (abrév. "Histrory of Califat", traduc. Major)
L'illustre 'Ali fut donc le premier à embrasser sans hésitation la croyance de Mohammad et à croire qu'il était le Prophète de Dieu.
Mohammad disait que trois hommes, à savoir Ezakiel, Habîb Najjâr et 'Alî, qui avaient été les premiers à embrasser la foi de leurs prophètes respectifs, à savoir Mûsâ, 'Isâ et lui-même, sont notés comme Çiddîq. (4) 'Alî rejetait la revendication de cette épithète par toute autre personne (en dehors des trois désignés par le Prophète). (5)
Il est notable que Mohammad se présenta comme Prophète au début seulement aux membres de sa famille, c'est-à-dire à ceux qui étaient censés connaître le mieux ses défauts humains si défauts il y avait. Et on a là la preuve la plus crédible de la pureté de son caractère dans la vie domestique; autrement ils auraient dû être les derniers à croire à ses assertions.
La Conversion d'Abû Bakr
Plus tard, Abou Bakr Ibn Abî Qohâfah, un ami du Prophète, fut facilement persuadé de devenir un disciple de ce dernier, à l'âge de trente-huit ans. L'histoire de sa conversion se présente comme suit: au cours d'un voyage vers le Yémen, Abû Bakr rencontra un vieux sage très instruit de la tribu de Azd, qui lui prédit qu'un Prophète apparaîtrait à la Mecque, dans un proche avenir, avec un jeune homme et un autre homme d'un âge avancé pour l'aider.
Lorsque Abû Bakr retourna à la Mecque, il rendit visite à son ami Mohammad qui l'invita à se joindre à sa religion, l'Islam, en se déclarant lui-même Prophète. (6) Abû Bakr lui demanda alors de lui donner une preuve à l'appui de son assertion, Le Prophète lui relata la prédiction du Sage du Yémen alors qu'il n'avait pas assisté lui-même à la relation de cette prédiction, puisqu'il était resté à la Mecque pendant toute l'absence d'Abû Bakr. Abû Bakr accepta alors l'Islam et devint un adepte de Mohammad.
«Ibn 'Asâkir rapporte le témoignage suivant de Mohammad Fils de Sa'd Abî Waqqâç: «Lorsque j'ai demandé à mon père: "Est-ce que Abû Bakr (al-Çiddîq) fut le premier d'entre vous à embrasser la foi (musulmane)?». Il répondit: "Non, car il y avait plus de cinq personnes qui s'étaient converties avant lui, mais il était le meilleur d'entre nous en Islam"».(7)
Ibn Kathîr dit: «Il est clair que la famille de Mohammad - sa femme Khadîjah, son esclave affranchi, Zayd et la femme de celui-ci, Om Aymân, 'Alî et Waraqah - crut en lui avant tous autres». (8)
Salim Ibn Abî Ja'd, cité par Ibn Abî Chayhab et Ibn 'Asâkir, dit: «J'ai demandé à Mohammad Ibn Hanîfah: "Abû Bakr fut-il la première personne à embrasser l'Islam?". Il a répondu: "Non". Je lui ai demandé encore "Pourquoi est-il donc si exalté et si préféré que tout le monde ne parle que de lui?". Il a répondu: "Parce qu'il était le plus excellent de tous en Islam, depuis sa conversion jusqu'à sa mort"».(9)
Ibn 'Abd al-Bar, un savant de l'Ecole Malikite, rapporte que lorsqu'on a demandé à Mohammad Ibn Ka'b al-Qartdhi, qui de 'Alî ou d'Abû Bakr fut le premier à embrasser l'Islam, il répondit que c'était certainement 'Alî, ajoutant que quelques autres compagnons éminents du Prophète - tels que Salmân al-Farçî, Abû Thar, al-Miqdâd, Khabab, Jâbir, Abû Sa'îd al-Khudri, Zayd Ibn Arqam - avaient eux aussi affirmé que 'Alî fut le premier parmi les hommes à embrasser l'Islam, et qu'ils l'exaltent et le préfèrent à tous les autres Musulmans. (10)
C'est un fait admis que 'Alî fut placé pendant son enfance sous la garde de Mohammad qui, comme un parent, lui donna une éducation morale, sociale et religieuse. Il vécut sous le même toit et dormit sur le même lit que Mohammad dont il partagea les repas. Ainsi, depuis sa tendre enfance, 'Alî suivit Mohammad aussi bien dans sa foi que dans tous les autres domaines. Il continua de le suivre lorsque Mohammad déclara être Prophète.
Donc, on ne peut pas dire que 'Alî était un converti, car une conversion implique un changement de religion, alors qu'il n'y avait jamais eu aucune conversion dans le cas de 'Alî; ou en d'autres termes, on pourrait dire que 'Alî était né Musulman. Telles semblent être les circonstances dans lesquelles 'Alî déclarait qu'il s'était joint à Mohammad dans des prières, sept ans avant que nul autre n'en fasse autant. Par conséquent, personne d'autre que 'Alî ne peut prétendre avoir été le premier Musulman.
D'aucuns soutiennent qu'en soulevant cette controverse, bien que vaine, on cherchait à semer le doute dans l'esprit des masses dans le but de diminuer l'estime à laquelle 'Alî avait droit en tant que premier Musulman. (11)
Ja'far Rallie la Foi
Quelques temps après les événements précités, Abû Tâlib voyait parfois son fils 'Alî et son neveu Mohammad prier ensemble dans un endroit éloigné. 'Alî se mettait debout à droite de Mohammad. Abû Tâlib observait silencieusement leur nouvelle façon de pratiquer l'adoration - se courbant jusqu'à leurs genoux, puis se redressant tout droits, se prosternant ensuite jusqu'à ce que leur front eût touché le sol.
Assistant à leur absorption et à leur humilité devant Dieu, il fut si impressionné par leur aspect de recueillement dans leur adoration qu'il(12) ordonna à Ja'far, un autre fils qui l'accompagnait, de se joindre à Mohammad à sa gauche. Lorsqu'ils eurent fini leurs prières, 'Alî expliqua à son père: «Je crois à l'Unicité d'Allâh, et que mon cousin Mohammad est Son prophète que je suis». «Suis-le, mon fils», répondit Abû Tâlib. «Il te guidera sur le droit chemin, et il ne t'invitera pas à fuir ce qui est bien».
Abû Tâlib, en tant que gardien de Mohammad, avait observé attentivement son comportement après la prédiction du moine nestorien, et il le trouvait supérieur en vertu à la jeunesse moyenne, ou pour mieux dire, il trouvait qu'il était considéré comme un homme saint.
Et sachant qu'il était déjà reconnu comme le guide spirituel de certaines gens, il croyait sans doute possible Mohammad le Messager de Dieu. C'est pourquoi il consentit à ce que ses fils Ja'far et 'Ali le suivent.
Notes :
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1-. "Al-Bokhârî"; "Muslim"; "Mosnad Ahmad Hanbal".
2- C'est-à-dire: «Je te fournirais beaucoup d'hommes et de chevaux pour venir à bout d'Abû Bakr".
3- "Al-Tabarî"; "Ibn Athîr"; "Abul-Fidâ'".
4- "Abul-Fidâ'".
5- "Al-Tabarî"; "Târîkh al-Khamîs"; Al-Çawâ'iq".
6- "Kanz al-'Ummâl".
7- "Al-Tabarî" (version persane); "Rawdhat al-Çafâ".
8- "Ibn Athîr"; "Ibn Khaldûn".
9- "Al-'Aqd al-Farîd"; "Mujrûj al-Thahab"; "Kanz al-'Ummâ".
10- "Rawdhat al-Ahbâb"; "Ibn aakhaldûn"; "A'tham al-Kûfî".
11- "Annals of the Early Calihate" de W. Muir, p. 257.
12- "Histoire of Islam" de Zakir Hussayn, vol. III, p. 54.