Les biens et l'honneur des gens étaient à la merci des forts et des puissants. Quiconque possédait quelque argent ou quelque richesse était contraint de l'enfouir sous la terre sous forme de magot.
Si des trésors demeuraient ainsi enfouis, c'est parce que les détenteurs d'or ou de richesse n'osaient pas même informer leurs enfants de la cachette de leur bien, de crainte que ceux-ci n'ébruitent leur secret et ne les exposent à des infractions et à des préjudices de la part des puissants.
Aussi arrivait-il parfois que le père disparaisse d'une mort subite, sans trouver l'occasion de confier ses secrets à ses enfants, et son avoir demeurait enfoui sous la terre. Le dicton disant "Ne dévoile ni ton argent, ni ton voyage, ni ta croyance"1 est un vestige de ces temps-là.
Tout comme il ne régnait pas de sécurité à propos des richesses, il n'en existait pas non plus en ce qui concernait la femme, et quiconque avait une épouse douée de beauté était contraint de la garder à l'abri des regards des puissants, car s'ils s'en avisaient, elle n'était dés lors plus sienne.
L'Iran de l'époque sassanide* a été témoin de crimes et de malheurs surprenants en ce domaine. Les princes, les prêtres, et même les chefs de village et les seigneurs, s'ils s'avisaient de la présence d'une jolie femme dans telle ou telle demeure, la faisaient assaillir et arrachaient cette femme du foyer conjugal.
A cette époque, ce n'était pas de "couvrement" ni de "hijab" dont il était question. Il s'agissait de cacher la femme pour que nul ne s'avise de son existence. Dans son Histoire de la Civilisation, Will Durrant rapporte de la Perse antique des faits scandaleux en la matière.
Le Comte Gobineau écrit dans Trois ans en Iran que le "hijab" qui existe encore de nos jours en Iran se rapporte, plus encore qu'à l'Islam, à l'Iran préislamique. Il ajoute que dans la Perse antique, les gens ne jouissaient d'aucune sécurité en ce qui concernait les femmes.
On a raconté au sujet d'Anouchirvan* - que l'on qualifia par erreur d'équitable - qu'il se rendit en son absence chez un des colonels de son armée dans le dessein d'en violer la belle épouse. Celle-ci raconta l'affaire à son époux. Pressentant que non seulement sa femme était perdue pour lui, mais que sa vie était en danger, il divorça sur-le-champ.
Lorsque Anouchirvan l'apprit, il lui dit: "J'ai entendu dire que tu avais un très beau verger et que tu l'as abandonné dernièrement. Pourquoi donc?" - "J'y ai vu les traces de pas d'un lion, répondit le colonel, et j'ai eu peur qu'il ne me mette en pièces." Anouchirvan se mit à rire et dit: "Ce lion ne viendra plus dans ton verger."
Ce type d'insécurité n'était pas spécifique à l'Iran ni aux temps reculés. L'histoire de l'Adhan de Minuit, que nous avons rapportée dans le Mémorial des Justes2, montre comment des incidents équivalents se produisaient également à Bagdad lors de la domination des turcs sur l'appareil califal. Il n'y a pas encore bien longtemps, un des princes d'Isfahan commit beaucoup de transgressions de ce genre, et les habitants de cette ville racontent nombre d'histoires de l'époque de son règne.
Nous ne nions ni l'existence d'insécurités et d'injustices par le passé, ni leur influence sur la pratique de dissimulation de la femme. Si l'application excessive du "hijab" et les opinions exagérées en matière de "couvrement" féminin sont assurément l'effet de ce type de faits historiques, il nous faut vérifier si la philosophie du "couvrement" de la femme en Islam y correspond ou non.
Tout d'abord, il serait faux de prétendre qu'il règne à notre époque une sécurité totale pour la femme. Dans ce monde industrialisé d'Europe et des Etats-Unis que nous appelons par erreur le monde civilisé, nous lisons parfois des statistiques effrayantes en matière de viol... Aussi longtemps que le règne de la sensualité subsistera dans le monde, il n'existera jamais de sécurité en ce domaine.
Cependant, l'aspect de l'affaire varie. Il fut un temps où tel seigneur, tel puissant envoyait un agent armé et arrachait de chez elle la femme d'un autre. En d'autres temps, on séduit une femme au cours d'une soirée, lors d'une danse, et on la détourne de son mari et de ses enfants.
Il se produit beaucoup d'incidents de ce genre, ou du type de l'enlèvement de femmes ou de jeunes filles au moyen de taxis ou d'autres façons, comme nous le lisons dans les journaux. (...) Ce n'est donc rien d'autre qu'un non-sens de prétendre qu'une sécurité totale règne à notre époque en matière d'outrages à la pudeur, et que les personnes concernées peuvent avoir l'esprit en paix.
En second lieu, à supposer qu'une sécurité totale en ce domaine ait été instaurée dans le monde et qu'il n'existe plus de viol ni d'outrage à la pudeur, si ce n'est avec le consentement des partenaires, il faut se poser la question suivante: quel est le fondement du "couvrement" selon l'Islam? Le point de vue islamique repose-t-il sur l'absence de sécurité pour que l'on puisse prétendre que le "couvrement" n'a plus de raison d'être dés lors que règne une sécurité totale?
L'injonction du "couvrement" en Islam n'a certainement pas eu l'absence de sécurité pour raison d'être. Du moins, cela n'en a pas été la raison unique ou essentielle, car cela n'a pas été présenté comme cause du "couvrement" dans les ouvrages islamiques, et une telle raison n'est pas conforme à l'histoire.
Le "couvrement" n'existait pas chez les arabes païens, et il y régnait pourtant une sécurité individuelle grâce aux modalités particulières de la vie tribale et bédouine.
Tandis qu'en Iran, l'insécurité individuelle et l'outrage à la pudeur régnaient dans une très grande mesure conjointement à la pratique du "couvrement", ce type de transgressions n'existait pas en Arabie entre membres d'une tribu. C'est la sécurité collective qui n'existait pas dans la vie tribale, c'est-à-dire la sécurité du groupe.
Or le "couvrement" ne saurait parer à ce genre d'insécurité, en ce sens que lorsqu'une tribu étrangère en attaquait une autre à l'improviste, tout était la proie du pillage, hommes et femmes étaient fait prisonniers, et le "couvrement" n'aurait pas procuré de sécurité à la femme.
La vie des arabes païens, malgré la différence énorme et notoire qu'elle présente avec la vie industrialisée et machinisée de notre époque, s'y apparente en ce sens qu'y foisonnaient la prostitution et l'adultère, même en ce qui concernait les femmes mariées, tandis qu'en raison d'une sorte de démocratie et de l'absence d'un gouvernement despotique, nul n'arrachait de force de chez elle la femme d'autrui. A cette différence, donc, qu'il règne dans la vie machinisée d'aujourd'hui une certaine insécurité individuelle qui n'existait pas à cette époque.
Le "couvrement" sert à prévenir l'agression entre des gens qui vivent au même endroit. Or d'après les habitudes et les moeurs tribales, ce type de transgression n'existait pas entre les membres d'une même tribu. Par conséquent, nous ne pouvons pas dire que l'Islam a établi l'injonction du "couvrement" à seule fin d’instaurer la sécurité.
La philosophie essentielle du "couvrement" est autre, comme nous l'expliquerons par la suite. Nous ne voulons pas dire néanmoins que le problème de la sécurité de la femme contre la transgression masculine n'a été pris en compte à aucun titre: lorsque nous commenterons le verset du "jilbâd"*3, nous verrons que le Noble Coran s’est également soucié de ce principe.
Nous ne prétendons pas non plus qu’une telle philosophie soit inopportune à notre époque et qu’il règne pour la femme une sécurité totale vis-à-vis des transgressions masculines. Les viols commis de façon quotidienne dans les pays soi-disant développés se reflètent aussi dans nos journaux.
*AYATOLLAH MOTAHHARY, Mortada, La Question du Hijab, Publication de La Cité du Savoir, Traduit de l'anglais et édité par AL-BOSTANI, Abbas, Canada.
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1- Dicton arabe (N.d.t.).
2- Cf. traduction française.
3- Coran, 33:59.