Par Dr. Gholam-Reza Behrouz-Lak
'Regard sur le concept du fondamentalisme islamique'
Le fondamentalisme religieux et notamment le fondamentalisme musulman fait parti des concepts qui durant ce siècle, ont eu de larges répercussions dans le monde entier.
Ce concept est un phénomène qui n'a pas de précédent dans le monde musulman. Même si dans la tradition islamique du passé, il a existé des concepts identiques pour exprimer des idées proches de ce concept, mais ce dernier mot n'a jamais été employé dans la tradition islamique. Sur le plan philologique, ce concept
("Fondamentalisme") fut employé pour la première fois au début du 20ème siècle aux Etats-Unis, pour présenter un groupe de protestants qui en croyant au caractère divin des mots et des termes employés dans les Saintes Ecritures, insistaient sur la mise en pratique et l'observance des contenus de leur livre sacré et rejetaient la conception de la modernité occidentale au sujet de la religion.
1-Depuis, l'Occident, dans sa confrontation aux Musulmans et sans tenir compte des différences de base idéologiques entre les deux religions, a employé le même concept. Ainsi, le concept du fondamentalisme islamique remonte à l'Occident imbu de sa pensée moderne.
Avec une telle mentalité et notamment sur la base des principes du modernisme occidentaliste, dont notamment celui de la séparation de la religion et de l'Etat, la religion trouve une définition et un fonctionnement particuliers. Il est évident qu'une telle mentalité est fort différente de la vision qu'a l'Islam de la religion et de sa place dans la société, et le fait de ne pas tenir compte de cette différence, pourrait conduire à amalgamer les principes et leur confusion. C'est pourquoi, il est nécessaire d'analyser ce concept et son histoire durant ce siècle et examiner les modalités de son emploi au sujet des islamistes contemporains. Une telle nécessité vient du fait que ce terme, en raison de la signification particulière qu'on lui a inculqué, est utilisé négativement à l'intérieur du monde islamique et de façon plus large par le monde occidental pour désigner les islamistes, sans que le sens de son contenu soit pris en considération. Et même encore, il y a
malheureusement certains groupes à l'intérieur du monde musulman et dans notre pays qui injustement et sous l'influence de la pensée occidentale, emploient ce mot pour désigner négativement les forces islamistes de l'intérieur. Dans un tel emploi, le concept du fondamentalisme devient synonyme de l'intégrisme et de
l'antirationalisme. Le résultat est que ce concept est devenu ambigu, ce qui a obligé certains chercheurs à utiliser d'autres termes pour définir l'islamisme contemporain.
2- A part les discussions que suscitent ces mots et leurs sens, l'important est d'examiner certaines de leurs applications et de les comparer avec des concepts identiques ou proches, pour dissiper toute ambiguïté et toute erreur, et préparer le terrain à une théorisation appropriée afin d'aider à la création d'un climat de dialogue et d'entente scientifiques. Dans le présent article, nous essayons d'analyser le sens du terme "fondamentalisme islamique", ses différentes applications et ces connotations, et finalement, de le comparer à d'autres termes comme l'intégrisme, le radicalisme, et le dogmatisme, etc. Il est clair qu'une telle approche peut nous aider à corriger certains emplois erronés de ce terme. Et à la fin, nous chercherons de proposer des concepts et des termes adéquats pour décrire les courants islamistes contemporains et leurs particularités.
Concepts et applications du fondamentalisme
Le terme du "fondamentalisme religieux" a été employé dans divers sens. On peut trouver au moins quatre significations différentes. Il n'y a pas de dominateur commun particulier à ces significations. Même si certaines applications de ce terme ont trouvé un sens général, mais elles ne sont pas exhaustives. Le seul point commun de toutes ces applications, est leur opposition au modernisme occidental. Cette confrontation avec les doctrines et les principes du modernisme occidental, existe aussi bien dans l'emploi de ce terme chez les protestants américains que chez d'autres religions et écoles de pensées religieuses. Ainsi, le fondamentalisme s'est formé dans son opposition au modernisme occidental. Et comme on l'a vu, l'Occident, en construisant une certaine altérité et en la rejetant, a défini le fondamentalisme religieux à ses antipodes, et se basant sur une telle conception, la généralisée à toutes les formes de religion qui s'opposent à la modernité occidentale. Ce terme a été employé la première fois pour désigner le protestantisme américain. Même si la secte chrétienne de l'Evangélisme porte ses racines dans le protestantisme européen des siècles passés, mais c'est à la deuxième décennie du XXème siècle qu'elle se transforme en un courant politique et religieux s'opposant aux principes du modernisme. Dans ce cadre même, le fondamentalisme religieux est une forme secondaire de cette secte religieuse. Tels sont les principes les plus importants des fondamentalistes chrétiens américains :
1- Le texte et les mots des Saintes Ecritures sont les mêmes que Dieu a envoyés. Une telle croyance est contraire à celle d'une grande majorité des Chrétiens qui malgré leur foi en La Bible, pensent que les mots et les termes ne sont pas les mêmes mots et termes envoyés par Dieu et que ces textes sont plutôt consacrés aux paroles et actes du noble Jésus (béni soit-il) et aux récits des prophètes.
2- La lutte intransigeante contre les théologies modernes et tout acte visant à séculariser la société chrétienne.
3- Une vie spirituelle évolutive avec les formes du comportement et d'engagement personnel comme la lecture de la Bible, la prière, la croyance en Dogme chrétien et les missions religieuses. Certains de ces principes comme le premier sont incompatibles avec la Tradition islamique, comme l'ont bien reconnu les penseurs occidentaux.
4- Sur ce point-là, tous les musulmans doivent être considérés comme fondamentalistes, car, en Islam, la ferme croyance est que le texte du saint Coran a été révélé par Dieu au Prophète de l'Islam (que le salut de Dieu soit sur lui et sur ses descendants) et que le Coran n'a subi aucun changement ni aucune altération. Le deuxième emploi de ce terme de fondamentalisme concerne les islamistes contemporains. Dans cette seconde utilisation de ce mot, le courant islamiste dans sa généralité est appelé "fondamentaliste" face au courant occidentaliste. Ces deux derniers siècles, dans le monde islamique, face à deux grands défis de l'époque à savoir la
décadence et l'arriération intérieure d'une part, et l'agression occidentale de l'autre, plusieurs courants se sont formés. Le premier courant en tournant le dos au passé islamique et en admirant les progrès matériels et civilisationnels de l'Occident, voit la solution dans l'alignement sur l'Occident. Ce courant se divise lui-même en deux parties : celle appelée " occidentaliste" et celle dite "occidentalisée". Les "Occidentalisés" s'attachent aux apparences de la culture occidentale et ignorent ses évolutions intérieures. Mais, les "Occidentalistes", d'une manière différente, tiennent compte des bases intellectuelles et civilisationnelles de l'Occident. La particularité des deux courants est de rejeter le passé et de croire à la nécessité d'obéir aux méthodes et modes occidentales. Pour ces deux courants, notre passé et notre tradition n'ont aucun point positif et il faut, dans le processus de modernisation, réviser ces deux éléments. Le second courant politique et intellectuel insiste sur le retour à la tradition pré-islamique à savoir la tradition nationale. Pour ce courant aussi, il faut s'éloigner du passé islamique, et considérer les ampères expériences du passé comme résultant de la domination islamique. Les représentants de ce courant cherchent à ressusciter les traditions
pré-islamiques. L'Iran et l'Egypte sont deux exemples de ce courant. En raison de l'existence des grandes civilisations pré-islamiques dans ces deux pays, on avait cherché à réhabiliter les patrimoines du passé. Ce courant s'accompagne d'une vague de nationalisme et apparaît sous forme d'un nationalisme traditionnel. Le panarabisme d'Abdul Nasser et la revivification des fêtes de 2500 ans par la dynastie Pahlavi sont deux exemples clairs des formes gouvernementales de ce courant.
Sous cet angle, le troisième courant serait le courant islamiste, qualifié par certains de fondamentalisme religieux. Ce courant cherche à ressusciter la tradition islamique et en rejetant l'Occident et ses doctrines modernes, insiste sur le passé et les traditions islamiques. Ce courant se divise lui-même, en tenant compte des courants intellectuels à l'intérieur du monde musulman, en deux parties. La première appartient au courant antirationaliste de l'ère islamique ayant ses racines chez les théologiens fidèles à la Tradition et les "Ash'arites", et refusant tout fait nouveau. Les représentants de ce courant sont Mohammad Ben Abdolwahab et le
Wahhabisme. La seconde partie du courant islamiste appartenant au courant rationaliste de l'ère islamique à savoir celui d'Adliyeh ("Tenants de la Justice") et des Philosophes musulmans, a une approche sélective face aux faits nouveaux, et en comparant certains de ces acquis avec les principes de la pensée islamique, en choisit les meilleurs. Les principaux représentants de ce courant sont Seyyed Djamaledine Assad-Abadi, Mirzayé Naïni, et l'Imam Khomeiny (que sa demeure soit au paradis). Une telle conception du fondamentalisme réside uniquement dans le regard occidental sur les islamistes. La grande différence de ce courant est le fait qu'il donne la
primauté à la religion et aux enseignements religieux. Ainsi, pour l'Occident, est fondamentaliste, tout courant qui parle du retour de la religion sur la scène politique. Par exemple, "Herayer Dokomdjian" a utilisé ce terme dans son étude sur les mouvements islamiques contemporains. Pour lui, le courant islamiste contemporain est, dans sa totalité, fondamentaliste. Une telle conception du fondamentaliste s'appliquant au courant islamique, est monnaie courante en Occident.
Le terme "fondamentalisme" s'applique troisièmement au courant anti-rationaliste sclérosé et de l'islamisme. De ce point de vue, l'islamisme se divise en deux courants fondamentaliste et radical. L'exemple évident du fondamentalisme à cette époque, c'est le courant du wahhabisme qui s'est manifesté depuis deux siècles dans le monde musulman en s'inspirant des idées de Ibn Timiyeh, influençant pour ainsi dire la plupart des courants politiques du monde islamique. Un tel emploi du fondamentalisme se reconnaît à son antirationalisme et à son refus de tout fait nouveau, et par conséquent, de toutes les idées de la modernité. L'apparition
mystérieuse et louche des courants comme les Talibans et Al-Qaïda, ces deux dernières décennies, qui sont présentés par l'Occident comme représentants de l'Islam, a mis en relief une telle image de l'Islam politique et des islamistes. On peut même prétendre que c'est sous l'influence de telles suggestions que la connaissance qu'a l'Occident des islamistes, se concentre principalement sur ce dernier courant, malgré l'application du terme fondamentalisme à tous les courants islamistes. Seyyed Ahmad Mowassaghi, analysant et classifiant les mouvements islamiques, oppose le fondamentalisme au radicalisme islamique. Pour lui, le radicalisme comprend aussi le courant rationaliste dont le principal représentant est Seyyed Djamaledine Assad-Abadi. Une telle application n'est certes plus en vogue, et même l'emploi du
radicalisme à tous les courants rationalistes islamiques, qui face aux phénomènes nouveaux du monde moderne ont une attitude rationnelle, montre bien l'emprise du regard occidental qui cherche à éloigner la religion de la scène socio-politique.
Il semble donc que les applications du mot fondamentalisme religieux comprennent principalement les cas qu'on vient de citer. En persan, le mot "bonyad-gerayï" est à peu près l'équivalent du mot "fondamentalisme". Même si sémantiquement, un tel équivalent est assez proche du terme "fondamentalisme", mais il crée une certaine confusion entre un terme épistémologique et un terme sociologique. Il vaudrait donc mieux, comme l'ont fait certains penseurs, d'utiliser des termes comme
"bonyangerayi" ou "mabnagerayi" qui établissent des bases claires et universelles aux connaissances humaines, créant une certaine identité de vue entre les hommes.
L'analyse des indices et des critériums du fondamentalisme
Le fondamentalisme se base indubitablement, dans ses emplois, sur des indices et des critériums qui permettent à un locuteur particulier l'emploi de tel ou tel terme. Mais ce qui importe, c'est de trouver ces indices et critériums. Les mots sont linguistiquement limités dans un espace sémantique créé par le locuteur. En d'autres termes, les mots ne signifient que dans un espace discursif particulier. Certains ont cherché à établir la fluidité des signifiants; les faisant dépendre des intentions des usagers. Même si nous ne croyons guère à cette théorie linguistique sur la vacuité des signifiants, mais, nous basant sur les bases logiques et philosophiques d'Aristote, nous admettons que les mots sont employés dans des sens différents et selon les situations d'énonciation et les intentions du locuteur.
Pour cette raison, afin d'empêcher toute confusion, il est indispensable d'utiliser le sens commun des mots qu'on emploie. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d'analyser les indices et les critériums afin de dresser des jalons à une compréhension exacte de ce concept et faciliter le consensus à ce sujet. Pour retrouver de tels indices, on peut commencer par des critères qui ont été déjà avancés. Babi Saïd, dans son ouvrage précieux sur l'Islam politique évoque les points de vue de Sagal et de Davis sur les indices du fondamentalisme religieux. Ces derniers ont cherché à créer un certain cadre analytique pour leur théorie du
fondamentalisme religieux. Pour eux, le fondamentalisme religieux, a trois particularités principales : 1- C'est un projet pour contrôler les femmes. 2- C'est une méthode du travail politique qui refuse tout pluralisme politique. 3- C'est un mouvement qui mélange la religion et la politique et les instrumentalise pour faire avancer ses objectifs. Pour eux, ces trois particularités constituent simultanément le fondamentalisme religieux. La question qui se pose ici est de savoir si
l'application de telles particularités aux fondamentalismes, notamment le fondamentalisme islamique est juste et appropriée. Il faut aussi psychanalyser la conscience et l'inconscient de ces chercheurs. Pour examiner cette question, il est nécessaire d'analyser cas par cas ces trois particularités. On ne peut pas définir le fondamentalisme sur la base d'un concept tel que "le contrôle des femmes". Pour le prouver, Babi Saïd utilise le terme " gouvernance" de Michel Foucault, penseur post-moderne français. Sur cette base, tous les pouvoirs politiques, en imposant des restrictions et des lois particulières à l'homme, cherchent à le contrôler. Sous cet angle, des lois comme l'interdiction du port du voile sont dans le processus de la modernisation des sociétés, par exemple dans la politique de Reza Shah, premier roi de la dynastie des Pahlavi, ou celle d'Atatürk ou l'interdiction du hidjab dans les pays européens, ne sont en effet qu'une sorte de contrôle sur les femmes, et pour cette raison, l'imposition des restrictions aux femmes ne peut pas être considérée comme un bon d'indice du fondamentalisme religieux!
La deuxième particularité est également contestable. Selon Sagal et Davis, ce ne sont que les fondamentalistes qui nient le pluralisme et insistent sur la vérité absolue des principes religieux. Même si telle chose est à peu près vraie et les fondamentalistes eux-mêmes le reconnaissent eux-mêmes, mais une particularité n'est pas propre aux fondamentalistes. En effet, c'est une question qui repose sur une base épistémologique. Selon cette base qui permet l'entrée du fondamentalisme dans la connaissance, il existe une complète correspondance entre la connaissance et le réel. La plupart des écoles et des théories occidentales ont déjà accepté une telle base. Une telle base exige que la découverte de la vérité soit possible uniquement par des voies particulières, et pour cette même raison, celui qui pense en se basant sur ces voies, les considérera comme vérités absolues. Avec une telle hypothèse, on peut dire c'est là même qu'il y a un choc entre l'Occident et l'Orient. Le nouvel Occident; avec un certain égoïsme dû à ses acquis technologiques, considérait le monde extérieur à lui comme inculte et arriéré et en envoyant des
missionnaires et des propagateurs, cherchent à les "rendre cultivés". Une telle pensée est autant dogmatique et sclérosée que les critères attribués au
fondamentalisme. La seule différence est que les fondamentalistes se basent sur les principes religieux, alors que l'Occident moderne insiste sur ces principes
modernistes. Il est évident que le fait d'insister sur ce principe, ne peut pas distinguer le fondamentalisme et le modernisme. Le pluralisme tel que avancé par Sagal et Davis n'existe, non plus, dans le contact du monde moderne avec l'Orient. L'Occident imbu de sa propre mentalité sur l'Orient, cherche à projeter hors de lui et vers l'Orient cette mentalité. Les évolutions en Irak, l'offensive des Etats-Unis et de leurs alliés contre le Moyen-Orient et le refus des Américains d'autoriser les Irakiens à décider de leur avenir, sont les preuves d'un tel exclusivisme, et relèvent en quelque sorte du fondamentalisme. Ainsi, ce ne sont pas uniquement les fondamentalistes qui prétendent à la vérité absolue. Dans le monde contemporain, de nombreux courants et systèmes politiques dans le monde, ont montré, au moins dans l'acte, qu'ils sont fondamentalistes!! Les nazis, les communistes, les libéraux, les conservateurs et les autres prétendent tous que leurs actes sont au service de la vérité. Selon Babi Saïd, si l'on tient le fondamentalisme pour un certain dogmatisme, on verra en effet, que le dogmatisme est présent dans tous les aspects de la vie quotidienne et chez toutes les écoles de pensée.
La troisième particularité est aussi critiquable. La négation de l'ingérence de la religion dans la politique n'est en vérité qu'une vision moderne de l'homme, de la société, de la politique et de la religion. Une telle vision tente de présenter le christianisme occidental, enfermé par le modernisme dans le domaine du particulier, comme un modèle à l'essence de la religion.
Il est clair que même le christianisme du Moyen آge ou même les lectures classiques du monde chrétien n'acceptent pas une telle conception sur le christianisme. Même les premiers penseurs de la Modernité comme Hobs et Rousseau n'avaient pas une telle mentalité envers la religion. Hobs dans son célèbre ouvrage intitulé Léviathan cherche à présenter le gouvernant civil (celui qui gouverne) à la fois comme chef de l'Eglise et celui du gouvernement, et de mettre fin ainsi à cette dualité de la religion et de la politique qui caractérisait le catholicisme. De même, dans son ouvrage important Le Contrat social, Jean-Jacques Rousseau considère comme
inséparables la religion et la politique. Pour lui, il n'y pas de société où la religion n'ait joué un rôle primordial sur tous les plans. Il est même intéressant de savoir que l'Occident moderne en rejetant l'intervention du christianisme dans la politique, a créé en quelque sorte, une religion civile, la faisant intervenir dans la scène politique. Les doctrines de la religion civile sont dominantes tout au long des 19ème et 20ème siècles. A la place de la religion divine, cette nouvelle religion fabriquée par l'homme, entre sur la scène politique sous forme d'un certain nationalisme au 19ème siècle ou sous la forme d'une religion humaine positiviste aux premières décennies du 20ème siècle. Même aux Etats-Unis du 20 siècle, cette religion fabriquée de toutes pièces par l'homme blanc s'est présentée comme sauveur du monde et s'arrogeait voire la responsabilité de faire parvenir les autres au bonheur. Dans les années 60, Bellah a analysé cette sorte de religion civile qui avait pénétré dans la scène politique des Etats-Unis.
Ainsi, on voit que la séparation de la religion et de l'Etat s'est complètement inspirée des idéaux et pensées de l'Occident moderne. Pour cette même raison, comme la plupart des concepts de ce genre, l'Occident a cherché, en raison de sa domination hégémonique, à l'imposer au monde entier. La séparation de l'Etat et de la religion est pour l'Islam, est une chose inadmissible et incompatible avec ses principes, et c'est une chose qui a été reconnue par la plupart des chercheurs occidentaux. La politique en islam est complètement différente de celle en christianisme. Même si le christianisme subit le procès de laïcisation et a accepté de se cantonner dans le domaine privé, ce n'est pas du tout le cas de l'Islam. Dès les premiers jours de son apparition, l'Islam a un lien profond avec le politique et ce fut le Prophète de l'Islam (que le salut de Dieu soit sur lui et sur ses descendants) qui fonda le premier Etat islamique. Pour cette raison, à la différence du christianisme, l'Islam ne peut pas accepter ou subir un tel procès.
A l'époque moderne et au 20ème siècle, nous nous éloignons progressivement d'un tel dogmatisme moderne au sujet de la séparation de l'Etat et de la religion.
L'apparition des mouvements post-modernes ces deux ou trois dernières décennies et le phénomène de la mondialisation sont deux facteurs qui ont brisé ce dogmatisme. Les penseurs post-modernes, en remettant en question les bases même du modernisme (notamment celles comme la rationalité occidentale, l'idée du progrès et le regard linéaire sur l'évolution des sociétés humaines d'après les critères de l'expérience occidentale), et niant la narration occidentale de l'homme et de la société ont pratiquement préparé le terrain au retour de la religion au 21ème siècle.
On peut considérer la mondialisation comme un élément complémentaire des critiques post-modernes sur la modernité. La mondialisation, comme l'ont très bien dit certains penseurs, a en quelque sorte, des particularités d'un phénomène post-moderne. De l'avis de Jeff Hins, l'un des théoriciens de la mondialisation, "il est probable que le 20ème soit le dernier siècle du modernisme et que le monde post-moderne du 21ème siècle apparaisse, au moins sous le regard du rationalisme des Lumières, sous forme d'un monde post-laïque. Cela veut dire que la renaissance actuelle de la religion et de la spiritualité sera plus fondamentale et plus
universelle que celle qu'on avait constatée aux périodes précédentes." L'époque de la mondialisation est également celle du retour des religions. L'expression la plus adéquate à ce sujet est peut-être celle de Brown qui est à l'origine du concept du "pouvoir d'idéation"("Ideational Power"). Pour lui, "le pouvoir d'un gouvernement à l'emporter sur ses adversaires dépendra de la puissance éclatante des idées qui tout en liant les individus de différentes sociétés, les poussera à sacrifier leurs désirs, leur sécurité personnelle et même leur vie à défendre le gouvernement. La réponse à cette question qui est de savoir qui obéira sur tous les plans à une idée quelconque, ne sera possible que par les sociétés capables d'idéation qui traversent les frontières et qui ferment les sociétés les plus cohérentes." Evidemment, le pouvoir d'idéation est un pouvoir de type logiciel qui dépend de la capacité de justifier les idées et les pensées. C'est pourquoi, les religions à l'époque de la mondialisation où les cultures et les civilisations sont en lien étroit les unes avec les autres, trouvent encore de l'importance en raison de leurs idées universelles.
D'autres critères sont également cités pour le fondamentalisme. A titre d'exemple, Hryer Dokmejian a cherché à trouver des particularités aux fondamentalistes musulmans. Il présente 8 particularités comportementales et celles concernant l'apparence physique d'un fondamentaliste. Les particularités citées, ne peuvent pas du tout être les particularités théoriques du fondamentalisme islamique et la majorité d'entre elles concernent le comportement et non pas la pensée ni la théorie. En général, il semble que le fondamentalisme est une particularité soit applicable à toute école ou théorie ayant des principes. Pour cette raison, le fondamentalisme renvoie étymologiquement à la défense des principes et des dogmes. Le fait qu'un point de vue ou une école de pensée soit étiqueté de bon ou mauvais, n'est que dû au courant dominant d'autrui. C'est pourquoi, nous aussi, dans le monde musulman, pouvons considérer, au même degré, l'Occident comme fondamentaliste, parce qu'il veut nous imposer ses propres idées et principes. L'Occident a pratiquement montré qu'il a été toujours ainsi envers les mondes non-occidentaux. Avec une telle vision, il vaudrait mieux ne pas utiliser de telles étiquettes dans l'analyse des points de vue et des écoles de pensée. En effet, de tels mots en raison de leur portée
axiologique ne sont des mots appropriés pour une analyse scientifique et ont plutôt des significations journalistiques. Il faut donc recourir à d'autres termes pour décrire les courants intellectuels et notamment islamistes. Certes, cela ne signifie pas que les courants ne diffèrent les uns des autres ou qu'on ne peut pas les classifier, nous voulons plutôt dire qu'il faut utiliser des termes adéquats qui n'aient pas une portée axiologique ou influencés par la civilisation et la culture étrangère.
L'Islamisme et la question du fondamentalisme religieux
Parmi les courants religieux accusés de fondamentalisme, ce sont des groupes islamistes de ces deux derniers siècles, notamment après la renaissance et l'élargissement de l'Islamisme, sous l'impact de la Révolution islamique. Le développement de l'Islam a été accompagné de différentes crises internes dans le monde moderne occidental. Et aujourd'hui au début du 21ème siècle, nous constatons la croissance des courants religieux, notamment islamistes. La question qui se pose ici de savoir ce que pensent les Islamistes de ce terme et comment classifier ces courants islamistes pour pouvoir les distinguer. L'importance de cette question est en raison du fait que la réapparition et la réactivation de certains groupes islamistes qui ont été par le passé sous la protection de l'Occident, ont en quelque sorte, jeté le discrédit sur le principal courant de l'islamisme qui peut présenter des solutions appropriés aux problèmes du monde actuel.
Mais, nous devons d'abord analyser la conception qu'ont les islamistes de la question du fondamentalisme. Il faut commencer par l'examen de ce terme dans la tradition islamique. Comme il a été bien souligné dans les versets coraniques et dans divers hadiths, l'Islam commence par une "soumission totale à Dieu, et le Très-Haut demande aux fidèles d'obéir aux ordres divins pour entrer dans le royaume du bonheur. L'élément linguistique " s-l-m(salam)" avec ses différents dérivés a été employé 140 fois dans le noble Coran. Le mot "Islam" a également été employé 4 fois. Selon le saint Coran (sourate Alé-Emran/19 et 85), l'Islam est l'unique juste religion chez Dieu et quiconque accepterait une autre religion que l'Islam, n'est pas un "musulman". Ces saints versets montrent bien que l'Islam dans son essence même,
appelle l'homme à se soumettre à Dieu. Evidemment, une telle soumission demande l'observance des principes et des dogmes stipulés par la Charia. Pour cette même raison, le respect des principes fondamentaux ("fondamentalisme") fait partie de l'essence même de l'islam. La conduite et la vie même du noble Prophète (que le salut de Dieu soit sur lui et sur ses descendants) et des saints imams (bénis soient-ils) témoignent d'une observance et d'un tel respect. Les concepts religieux les plus importants qui montrent un tel respect des dogmes sont exprimés dans les mots comme " la piété du cœur (taqwâ)" et "tawallâ wa tabarrâ"(Prendre pour amis les Amis de Dieu et rompre avec ses ennemis). La piété du cœur étant l'une des qualités humaines les plus importantes, oblige le fidèle à se détourner des interdictions légales et de respecter les obligations strictes. Par conséquent, la piété du cœur comme un facteur de maîtrise de soi contraint le fidèle à ne pas s'écarter du chemin des principes religieux et lui demande de ne jamais s'en séparer. Le fidèle soumis à Dieu, en respectant la piété, témoignera de sa totale obéissance à Dieu. Le deuxième concept qui peut montrer dans le vocabulaire islamique le respect des principes par un fidèle, est celui de "tawallâ wa tabarrâ" selon lequel un fidèle doit pour amis les Amis de Dieu et rompre avec ceux qui n'ont pas écouté l'appel divin. Selon ce principe, il a été interdit aux musulmans d'avoir un sentiment d'attachement envers les infidèles. Des fois, le noble Coran a défendu les Musulmans d'accepter la tutelle des impies. De telles règles ainsi que celle connue sous le nom de "amr-i bi marûf wa nahy-i az munkar"(Commandement du bien et interdiction du mal) sont là pour défendre le cadre dogmatique et idéologique de la communauté islamique et par delà, contribuent à développer et approfondir la foi. Un tel mécanisme peut pratiquement aider au processus de l'intégration et au transfert des valeurs et des
valeurs religieuses aux générations et aux groupes islamiques. Conformément à ce concept, la doctrine islamique contient en soi un certain fondamentalisme (dans le sens du respect des principes fondamentaux et des dogmes). Une telle particularité se constate aussi sous des formes diverses dans d'autres religions. Chaque religion demande à ses adeptes d'accepter certains principes et d'en faire la base de leur comportement dans la vie. Même par-delà les religions, cette exigence existe dans les écoles de pensée humaines. Pour cette raison, chaque école ou chaque doctrine religieuse pour trouver une certaine identité et la continuer, crée des principes, le faisant distinguer des autres religions ou écoles de pensée.
Les islamistes, comme les autres, ont aussi une telle conception d'eux-mêmes. Dans cet article, nous cherchons à évoquer deux exemples pour étayer notre argument. Le premier exemple concerne Seyyed Djamaledine Assad-Abadi, initiateur des mouvements islamiques contemporains. Ce dernier, en raison de sa présence dans divers pays islamiques et ses efforts inlassables, est indubitablement très connu et considéré comme un personnage très influent. Pour cette raison, l'examen de sa pensée et ses points de vue peut nous donner un exemple de ce que peuvent être les islamistes contemporains. Dans son analyse de la situation agitée du monde islamique, Seyyed Djamaledine évoque deux points essentiels : le premier, c'est la dictature et l'arriération du monde musulman en raison de son éloignement des enseignements de
l'Islam et le deuxième, c'est l'attaque de l'Occident contre le monde musulman qui a entraîné une perte de confiance et un certain éloignement de la pensée islamique pure. Contrairement aux esprits occidentalisés comme Taqi-Zadeh et Seyyed Ahmad Khan Hêndi, Seyyed Djamaledine insiste sur la nécessité du retour à la tradition islamique. Pour lui, ce retour se fait d'abord par une purification de l'Islam des superstitions et des hérésies qui lui ont été imposées tout au long de l'histoire, et ensuite par la une réforme et la renaissance de la pensée islamique. Certes, Seyyed Djamaledine Assad-Abadi en tant que penseur musulman novateur et en raison de l'acceptation de la raison comme un critère de jugement décisif, était ouvert à certains phénomènes, toutefois, les principes islamiques constituent l'axe de sa doctrine. Le regard de Seyyed Djamaledine sur les points de vue et les actes de Seyyed Ahmad Khan Hêndi, en est bien la preuve. Ce dernier attiré fortement par
l'Occident après son voyage en Grande-Bretagne, considérait comme blâmable le zèle des traditions religieuses. Mais Seyyed Djamaledine récusant les idées de Ahmad Khan défend ainsi la religion : " Est-il possible qu'un esprit de bon sens trouve insensé le zèle modéré de la religion et le considère comme signe de la déraison et de l'arriération? Un esprit sage fait-il la différence entre l'ardeur religieuse et l'ardeur nationale? Sauf s'il considère avec équité le zèle religieux comme plus pur et plus utile que le zèle national. Alors, comment se fait-il que ces esprits occidentalisés, en dépit de bons conseils de la raison, critique une attitude qu'ils ne connaissent pas, et au nom de quoi et de quels principes rationnels, l'amour de la patrie est considéré comme la plus grande vertu humaine?" La comparaison faite par Hamid Enayat entre Djamaledine et Ahmad Khan est ici intéressante : "Si Seyyed Ahmad parlait de la réforme religieuse, Seyyed Djamaledine mettait en garde les Musulmans contre la démagogie de certains réformateurs, et si Seyyed Ahmad insistait sur la nécessité pour les musulmans de connaître les nouvelles idées, Seyyed
Djamaledine estimait que la croyance religieuse guide, plus que toute autre chose, les musulmans vers le droit chemin; et si Seyyed Ahmad appelait les musulmans à suivre les nouvelles méthodes d'éducation, Seyyed Djamaledine considérait que de telles méthodes étaient nuisibles à la religion et à la nation même de l'Inde. Ainsi, Seyyed Djamaledine, connu jusqu'alors comme partisan des idées et des savoirs nouveaux, s'est présenté comme gardien de la tradition des musulmans face à un penseur novateur comme Ahmad. Cependant, il ne s'est jamais détourné de son idée sur la nécessité de dynamiser la pensée religieuse."
On constate bien dans les mots employés par Seyyed Djamaledine, sa vision fondamentaliste (respect des principes et dogmes fondamentaux) et son accent mis sur la doctrine islamique. Même si Seyyed Djamaledine est considéré comme un musulman réformateur, mais en tant qu'islamiste, il insiste sur les principes et les idées religieux. C'est pourquoi sa conception de la religion et de la lutte est une conception "fondamentaliste".
Le deuxième exemple se constate dans les idées et points de vue de l'honorable Ayatollah Khamenei, Guide suprême de la révolution islamique. Par delà sa
responsabilité en tant que leader de la révolution islamique, l'Ayatollah Khamenei est une personnalité combattante et un théoricien islamiste. Pour cette raison, sa conception du terme "fondamentalisme" importe bien dans l'examen de la vision des islamistes de ce terme. Le guide suprême a, à maintes reprises, évoqué ce terme. Nous citons ici et à ce sujet le Guide suprême : " Le fondamentalisme (le respect des principes fondamentaux) signifie accepter des principes logiques et raisonnés et les respecter, "Ceux qui disent : Notre Seigneur est Dieu et font preuve ensuite de la résistance", résister, c'est ça le fondamentalisme, c'est d'accorder ses comportements avec ces principes, comme les bornes qui, sur une route, guident l'homme."
Dans une autre phrase, le guide suprême de la révolution fait la différence entre le vrai fondamentalisme islamique et ce que l'Occident cherche à présenter comme tel : " La nation iranienne, parce qu'elle respecte les principes religieux et l'honneur et qu'elle est pour la sincérité, la justice, et contre la trahison (chacune de ces particularités étant un principe et un fondement moral), est fondamentaliste et s'en glorifie, ce alors que les Occidentaux considèrent le "fondamentalisme" comme synonyme de pétrification, d'illogisme et d'opposition au progrès, et sur cette même base, ils portent des accusations mensongères contre l'Iran islamique pour abaisser l'Islam aux yeux des sociétés musulmanes et empêcher les masses occidentales de se convertir à l'Islam. Aujourd'hui, lorsque les Américains, les milieux sionistes internationaux et les gros capitalistes du monde voient les gestes fidèles et dévoués du peuple iranien, ils les voient comme un grand danger et les
qualifient du fondamentalisme. Certes, quand ils parlent du fondamentalisme, ils n'entendent par ce mot le respect des principes, ni le respect des bases idéologiques et des valeurs fondamentales. Ils ne veulent pas dire ça par le mot fondamentalisme. Pour eux, le fondamentalisme, c'est le synonyme de rétrogradation et de pétrification, c'est-à-dire une insulte, une offense envers les nations. Ils disent : ce sont les fondamentalistes, à savoir rétrogrades et arriérés." Le guide suprême stigmatise par ailleurs, ceux qui, terrorisés par ce tapage propagandiste de l'Occident de frapper d'étiquette de fondamentalisme le mouvement islamique,
veulent prendre leurs distances vis-à-vis de ce mot : "On en est arrivé à un point où certains parmi les gens d'ici, ont juré dans les milieux internationaux qu'ils n'étaient pas fondamentalistes afin qu'on les croie. Aujourd'hui, même les Américains, pour concrétiser leurs menaces contre les Etats dont ils parlent, disent : nous faisons cela pour défendre nos principes fondamentaux et appellent cela le respect des principes fondamentaux ("fondamentalisme"). Voyez-vous! D'une part, ils
obligent une nation à renoncer au respect de ses principes, et de l'autre, voyant dans le respect de leurs principes une certaine utilité pour eux-mêmes, ils les défendent et au nom de ces principes, ils attaquent le monde!! Ils jouent de cette façon du destin des nations, des gloires des peuples et même des éléments constitutifs des nations."
L'examen des idées de ces deux érudits musulmans montre donc qu'ils insistent sur l'attachement aux principes religieux face aux idées occidentales. Pour cette raison, le fondamentalisme religieux, dans le cas de la signification du respect des principes et dogmes, est aux yeux des musulmans, quelque chose d'idéal, normal, voire nécessaire. Ils n'ont jamais peur d'être qualifiés du fondamentalisme ou d'intégrisme, car pour eux, ce fondamentalisme (dans le sens où ils l'entendent) prouve leur croyance en valeurs religieuses et idéologiques. Une telle conception (le sens négatif du fondamentalisme) est pour eux le signe de l'influence de la mentalité occidentale qui s'oppose à la présence des croyances et des opinions religieuses.
Regard sur la classification interne des courants islamistes
Ainsi, on constate d'après ce qu'on a dit, que les termes comme le fondamentalisme ne peuvent pas expliquer de façon exhaustive le courant islamiste contemporain. La raison la plus principale en est que la mentalité occidentale a jeté en quelque sorte l'ombrage sur ce genre de concepts. Sans tenir compte des différences qui séparent d'autres cultures et civilisations des principes constitutifs de l'Occident, ce dernier en posant ses propres critères comme la base du tout, s'arroge le droit de juger et d'évaluer. L'exemple le plus manifeste d'une telle arrogance est ce droit que s'accorde l'Occident à appliquer et interpréter, comme il veut, le terme du fondamentalisme.
En tout cas, en dehors de cette étiquette de fondamentalisme religieux, il faut reconnaître que tout au long de l'histoire, le courant islamiste comporte des divisions et groupes assez divers dont la prise en considération sera très utile dans cette étude. Avant d'examiner la classification de l'islamisme, il faut tenir d'abord compte des particularités différentielles de l'islamisme. A vouloir nous concentrer sur les courants islamistes contemporains, il nous semble que le mot de "l'Islam politique" peut être un terme adéquat et applicable aux divers courants islamiques. Certes, nous devons savoir que ce terme est lui-même récent et son apparition date de notre époque. L'emploi d'un tel qualificatif ("politique") pour décrire l'Islam est une chose sans précédent dans la mémoire des musulmans. Séparer l'islam en politique et non politique, comme ce terme le fait, montre qu'il est venu bien de la mentalité occidentale qui croit à une telle division pour la religion. En dépit d'une telle mentalité, l'Islam a été dès le début une religion pluridimensionnelle et exhaustive et n'a été jamais séparé du domaine politique, et par
conséquent, il n'a pas besoin de tels qualificatifs. Une telle qualification est ainsi dépourvue de sens. L'Islam, contrairement au christianisme, a pris le pouvoir dès le début et le Prophète de l'Islam (que le salut de Dieu soit sur lui et sur ses descendants) a été lui-même le fondateur du premier Etat islamique. Les musulmans eux-mêmes ont eu le long de l'histoire, une conception identique de l'Islam et se sont attendus à ce que les gouvernements de l'époque soient la manifestation même de l'Etat islamique. Il est intéressant de savoir que la plupart des penseurs occidentaux face à l'Islam, ont eu la même conception de cette religion. On peut citer à ce propos Jean-Jacques Rousseau qui, comparant l'Islam et le christianisme dans son ouvrage majeur Le Contrat social, s'exprime ainsi : " Mahomet avait une conception très juste du pouvoir, unifiant le pouvoir politique et le pouvoir religieux, et tant que cette conception et cette structure étaient respectées par ses successeurs, le gouvernement était très bien administré." Rousseau entend par là l'unité de l'ordre politique et de l'ordre religieux en Islam, alors dans le catholicisme, il existait une dualité qui compliquait l'ordre politique. Malgré la présence de la mentalité occidentale dans ce terme de l'Islam politique, il semble que parmi les termes employés, ce mot est moins teinté de partialité et a des points positifs. Le plus important point, c'est la possibilité qu'il donne de caractériser certains courants dans l'Islam contemporain qui sous l'influence de l'esprit moderne occidental, estiment que l'Islam appartient au domaine individuel et particulier,
constituant ainsi ce qu'on appelle le courant laïque islamique ou pour ainsi dire le "protestantisme islamique". L'autre point ou avantage, c'est que ce mot est dépourvu de la charge négative qui pèse sur les termes comme le fondamentalisme. L'expression dite "l'Islam politique" peut bien définir et englober le mouvement général de l'islamisme dans le cadre d'un discours, formant ainsi une identité qui se distingue bien des autres discours et notamment du discours occidental. On peut ainsi définir l'Islam politique : " l'Islam politique est un discours qui met l'identité islamique au centre de l'action politique. Les islamistes sont ceux qui
emploient des termes et expressions islamiques pour exprimer leur destin et leurs idéaux politiques." En d'autres termes, c'est dans l'Islam même que les islamistes cherchent leur vocabulaire final. Selon Rowerty, le vocabulaire final ("Final Vocabulary"), ce sont les mots employés par les individus quand ils veulent exprimer leurs espoirs et leurs aspirations. Un regard discursif sur l'Islam politique et les islamistes contemporains nous permet d'identifier les sous-courants ayant des sous-discours islamistes. Pour diviser les islamistes contemporains en courants divers, il nous faudra revenir aux courants islamiques intellectuels du passé, pour y trouver leur généalogie idéologique. Ainsi, il faut évoquer les deux courants principaux à savoir le courant rationaliste et le courant anti-rationaliste. Il faut chercher le principal représentant du courant anti-rationaliste dans le courant des intellectuels fidèles à la Tradition (les traditionnistes ou ahl-é-hadith). Les traditionnistes rejettent complètement l'autorité de la raison et insiste par contre sur celle du hadith. Pour cette même raison, tout fait nouveau qui n'existait pas dans les versets coraniques ou les traditions islamistes, était inacceptable à leurs yeux. Le fatalisme et le rejet du libre arbitre sont deux autres particularités de ce courant. Même si ce courant de pensée fut plus tard dans une grande mesure, modéré par Abol- Hassan Achâri (ou Ashâri), mais ce dernier qui avait dans sa
jeunesse des idées mutazilites, n'acceptait la raison que comme un instrument de raisonnement et ne lui accordait autorité dans l'explication et la compréhension des dogmes. Pour cette raison, le courant acharite comme celui des traditionnistes resta non rationaliste. Une telle position sur la raison laissa plus tard des impacts sur les courants islamistes ultérieurs. Ibn Taymiya et son disciple Ibn Qayyum Djowzi, obéissant aux enseignements des traditionnistes et s'opposant à la raison, eurent recours aux apparences de la charia pour frapper d'anathème leurs adversaires au 8èmesiècle de l'hégire lunaire. Les germes d'un tel courant de pensée
réapparaissent aujourd'hui dans le wahhabisme et ses branches. C'est pourquoi, il est considéré comme un courant sclérosé et antirationaliste qui rejette tous les nouveaux acquis humanitaires de cette époque, les qualifiant de contraire à la sunna (bidât).Les exemples les plus manifestes de cette pensée se trouvent dans les courants salafistes contemporains en Arabie Saoudite, au Pakistan, en Afghanistan et dans d'autres coins du monde musulman. Les Talibans et la nébuleuse Al-Qaïda sont les formes concrétisées de ces courants. Face au courant antirationaliste des Traditionnistes, il y a le courant rationaliste d'adliyah dont les représentants sont des mutazilites et des chiites. Ce courant qui est plus compatible avec l'esprit scientifique de l'Islam, en s'attachant à la raison comme une autorité intérieure,
cherche à comprendre les idées religieuses, et par conséquent d'expliquer des faits nouveaux. Même si le courant mutazilite était un courant extrémiste qui ne résista pas aux politiques des califes abbasides, mais du fait de la nature rationaliste et argumentative des partisans de la Raison, ce courant s'est enraciné et développé tout au long de l'histoire. Certes, il y a aussi les philosophes du Maghreb islamique qui ont contribué au développement des discussions rationnelles et philosophiques dans cette partie du monde islamique, majoritairement sunnite. Ces deux courants sont en effet les ancêtres spirituels des courants islamistes contemporains. Pour cette même raison, au lieu de diviser ces courants en radicaux ou fondamentalistes, on peut se référer à ce passé qu'on vient d'évoquer. Cela a des avantages considérables. Le premier avantage, c'est qu'on s'éloigne des termes basés sur la mentalité occidentale, et ainsi, la classification des courants internes du monde musulman ne se basera plus sur des critères étrangers. Ainsi, les termes choisis appartiennent à l'histoire et au passé de l'Islam. Et c'est pourquoi, ils peuvent exprimer les liens et les filiations. L'autre avantage, est que cette classification prend en considération la diversité des courants
islamiques. Ainsi, on peut mettre les courants islamistes contemporains dans un spectre dont l'un des deux bouts est constitué par les courants extrémistes antirationalistes comme les Traditionnistes et l'autre bout par les courants rationalistes extrémistes comme les mutazilites. Le milieu du spectre est occupé par d'autres courants, qui vu leur distance du centre, sont liés au courant rationaliste ou au courant antirationaliste.
Le mot de la fin
Ces deux derniers siècles, l'avènement et l'extension du courant de la renaissance religieuse dans le monde islamique face à l'invasion intellectuelle et culturelle de l'Occident moderne, sont deux phénomènes majeurs du monde musulman. Ce courant qui a marqué la résurrection islamique après une période de stagnation dans le monde musulman; s'est trouvé revigoré après l'avènement de la Révolution islamique. Le monde moderne occidental qui ne pouvait pas tolérer un courant qui lui était
supérieur, regarde depuis deux siècles, d'un œil égoïste, ses avancées techniques et méprise d'autres civilisations et cultures, et sur cette même base, voit d'un œil négatif le courant islamiste contemporain, allant jusqu'à le considérer comme arriéré. La conséquence en est bien l'utilisation des étiquettes et des qualifications comme le fondamentalisme religieux ou le radicalisme islamiste, termes qui qualifient, avec un regard méprisant d'obscurantiste les islamistes contemporains. Comme on vient de l'évoquer, une telle mentalité est complètement étrangère à la vision islamique, et les courants islamistes se considèrent comme "fondamentalistes" au sens du respect des principes fondamentaux et des dogmes. Il vaudrait donc mieux de définir ou de présenter les islamistes avec des mots et des termes qui appartiennent au monde islamique, car primo, ils seront ainsi dépourvus de l'axiologie occidentale, et secundo, ces termes peuvent bien montrer leur ancêtres spirituels, des termes comme l'islamisme sclérosé, et antirationaliste, et l'islamisme rationaliste et modéré.