Les moyens pour entrer en communion avec Dieu
La plus simple forme de relation avec Allah consiste en une série d'éléments harmonieux et concordants. Les références islamiques sont contre une relation avec Allah sur la base d'un élément unique, tel que la peur ou l'espoir, l'amour ou le recueillement. Une telle relation est dépourvue d'harmonie et d'équilibre. Les éléments qui composent la relation avec Allah sont très nombreux et figurent en détail dans le saint Coran, les hadiths et les prières de demandes.
Ce sont essentiellement: l'espoir (en Allah), la peur (d'Allah), l'imploration, le recueillement, l'humilité, l'appréhension, l'amour, le désir, la familiarité, l'anâbah (le retour vers Allah, repentant), le tabattul (retraite spirituelle, récollection), l'istighfâr (demande de pardon), la crainte, l'obéissance, l'asservissement (à Allah), le thikr (l'invocation d'Allah), la pauvreté (le besoin d'Allah), l'i'tiçâm (se protéger par Allah).
Ainsi, dans une invocation de, l'Imâm Zayn al-'A^bidîn (p) dit:
«O^ Seigneur! Je Te demande de remplir mon coeur d'amour de Ton Amour et de Ta crainte, de croyance et de Foi en Toi, de Ton appréhension et de Ton désir».(1)
De ces éléments multiples se forme un beau spectre harmonieux de la relation avec Allah. Chacun de ces éléments constitue une porte de la Miséricorde et de la Connaissance d'Allah. Ainsi, la demande de la miséricorde ouvre la porte de la Miséricorde d'Allah, et la demande de pardon ouvre la porte du Pardon d'Allah.
De même chacun de ces éléments est considéré en soi comme une voie pour le mouvement ou la conduite vers Allah. D'autre part, la crainte ou l'appréhension est une autre voie vers Allah. Le recueillement est une troisième voie vers Allah; l'espoir, l’invocation ou l'espérance constitue une quatrième voie vers Allah.
L'homme doit se mouvoir vers Allah à travers différentes voies et ne pas se contenter d'une voie unique, car chaque voie conduisant à Allah a son propre charme, sa propre saveur et un délice particulier qu'on ne retrouve pas dans les autres voies. De là l'insistance de l'Islam sur le principe de la multiplicité des éléments de la relation avec Allah.
Dans ce voyage, l'Imam Ali al-Sajjâd (p) prie Allah par trois moyens, conformément à la volonté d'Allah qui nous commande de Lui demander les moyens d'aller à Lui:
«O^ vous qui croyez! Craignez Allah et recherchez les moyens de vous rapprocher de Lui! Combattez pour Sa Cause! Peut-être serez-vous heureux».(2)
«Ceux-là mêmes qu'ils invoquent, recherchent le moyen de se rapprocher de leur Seigneur».(3)
Les moyens que l'Imam demande à Allah dans ce voyage sont: le besoin, la demande et l'amour. Quelle pertinence! Ce maître incontesté du Invocation sait parfaitement ce qu'il demande à Allah, comment demander et où sont les points d'accès à la Miséricorde du Miséricordieux!
Le premier moyen: le besoin
Le besoin lui-même est une émanation de la Miséricorde d'Allah, car le Créateur couvre de Sa Miséricorde les besoins de toutes Ses créatures, y compris les animaux et les plantes, et ce sans qu'elles le Lui demandent. E'videmment cela ne signifie nullement l'inutilité de la demande et de la sollicitation, lesquelles constituent en fait, à côté du besoin, un autre aspect de la Miséricorde d'Allah. Ainsi, si elles ont soif, Il les désaltère, lorsqu'elles ont faim, Il les nourrit, et lorsqu'elles sont dénudées, Il les revêt: «C'est Lui qui me nourrit et qui me donne à boire; c'est Lui qui me guérit , lorsque je suis malade» (4), et ce lors même qu'ils ne connaissent pas Allah parfaitement, ne savent pas comment L'implorer, ni quoi Lui demander: «O^ Toi qui, par tendresse et compassion, donne aussi bien à celui qui Te demande, qu'à celui qui ne Te demande pas, ainsi qu'à celui qui ne Te connaît pas».(5)
Dans un merveilleux munâjât, l'Imam Ali (p) énumère les innombrables motifs de la sollicitation par les serviteurs de la Miséricorde d'Allah:
«Mon Seigneur! O^ mon Maître! Tu es le Maître et je suis l'esclave! Qui d'autre que le Maître fait miséricorde à l'esclave!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Puissant et je suis l'humilié! Qui donc d'autre que le Puissant fait miséricorde à l'humilié!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Créateur et je suis la créature! Qui donc d'autre que le Créateur fait miséricorde à la créature!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es l'Immense et je suis le mesquin! Qui donc d'autre que l'Immense fait miséricorde au mesquin!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Fort et je suis le faible! Qui donc d'autre que le Fort fait miséricorde au faible!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Riche et je suis le pauvre! Qui donc d'autre que le Riche fait miséricorde au pauvre!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Donateur et je suis le quémandeur! Qui donc d'autre que le Donateur fait miséricorde au quémandeur!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Vivant et je suis le mortel! Qui donc d'autre que le Vivant fait miséricorde au mortel!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es l'E'ternel et je suis le passager! Qui donc d'autre que l'E'ternel fait miséricorde au passager!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Permanent et je suis l'éphémère! Qui donc d'autre que le Permanent fait miséricorde à l'éphémère!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Dispensateur et je suis l'allocataire! Qui donc d'autre que le Dispensateur fait miséricorde à l'allocataire!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Généreux et je suis l'avare! Qui donc d'autre que le Généreux fait miséricorde à l'avare!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Sain et je suis le malade! Qui donc d'autre que le Sain fait miséricorde au malade!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Grand et je suis le petit! Qui donc d'autre que le Grand fait miséricorde au petit!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Guidant et je suis l'égaré! Qui donc d'autre que le Guidant fait miséricorde à l'égaré!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Pardonneur et je suis le pécheur! Qui donc d'autre que le Pardonneur fait miséricorde au pécheur!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Guide et je suis le perdu! Qui donc d'autre que le Guide fait miséricorde au perdu!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Vainqueur et je suis le vaincu! Qui donc d'autre que le Vainqueur fait miséricorde au vaincu!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es le Seigneur et je suis le vassal! Qui donc d'autre que le Seigneur fait miséricorde au vassal!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Tu es l'Orgueilleux et je suis l'humble! Qui donc d'autre que l'Orgueilleux fait miséricorde à l'humble!?
Mon Maître! O^ mon Maître! Fais-moi miséricorde par Ta Miséricorde, agrée-moi par Ta Noblesse, pat Ta Générosité et par Ta Grâce, ô Toi Détenteur de la Générosité et de la bienfaisance, des faveurs et des bienfaits».
Dans ces séquences, l'Imam Ali (p) invoque son besoin et son indigence pour s'attirer la Miséricorde d'Allah, c'est dire qu'il fait de son indigence et de son besoin le motif, la cause et la justification de la sollicitation de la Miséricorde divine.
Ainsi, la créature attire la Miséricorde du Créateur, le faible attire la Miséricorde du Fort, le malade attire la Compassion du Bien-portant et ainsi de suite.
Telles sont les lois d'Allah, lesquelles sont immuables. Là où il y a besoin et pauvreté, il y a la Miséricorde et la Grâce d'Allah. De même que l'eau descend obligatoirement vers le terrain bas, de même la Miséricorde d'Allah descend là où il y a besoin, car Allah est Généreux et Noble, et le propre du Généreux est de faire montre de sa générosité et de sa compassion surtout là où le besoin se fait sentir.
Dans Invocation al-Sahar déjà cité, l'Imam al-Sajjâd dit:
«O^ Mon Dieu! Donne-moi, car je suis pauvre et aie pitié de moi, car je suis faible».
Il fait ainsi de sa pauvreté et de sa faiblesse un moyen ou un motif de sollicitation de la Miséricorde d'Allah.
E'videmment ceci ne doit pas être pris dans un sens absolu ou comme le seul moyen ni le moyen impeccable d'obtenir la Miséricorde d'Allah, car dans les lois divines, il y a d'autres facteurs qui attirent la Grâce du Créateur et il y a des obstacles et des voiles qui empêchent la descente de la Miséricorde du Miséricordieux. Par conséquent, lorsque nous énonçons que le besoin et la pauvreté sont un motif de la venue de la Miséricorde d'Allah, il faut comprendre cet énoncé dans le cadre de ces lois générales.
On trouve dans le Noble Coran des exemples de l'invocation de la pauvreté et de la faiblesse en vue de la sollicitation de la Miséricorde d'Allah et de l'obtention de la réponse positive à notre appel, étant donné que le besoin appelle une réponse (satisfaction) de la part d'Allah, tout comme le invocation et la sollicitation suscitent Sa réponse, ou en d'autres termes l'exposition du besoin en soi tient lieu de Prière de demande (invocation).
Citons quelques-uns de ces exemples coraniques:
1- Ayyûb(6) (p), l'adorateur pieux et durement éprouvé, s'est contenté d'exposer son état pathétique au Seigneur, alors qu'il traversait la phase la plus pénible de ses épreuves: «Et Job (Ayyûb), quand il en appela à son Seigneur: "Le mal m'a touché, vraiment! Cependant, Tu es le plus Miséricordieux des miséricordieux!" Nous lui répondîmes, alors, et lui déblayâmes le mal qu'il avait, et lui apportâmes sa propre famille, et une en plus, semblable, à titre de miséricorde de Notre part, et de rappel aux adorateurs». (Sourate al-Anbiyâ', 21: 83-84).
Ainsi, comme on peut le constater, les propos que le Coran prête à Ayyûb ne comportent pas de prière de demande; cependant, Allah nous dit: «Nous lui répondîmes, alors, et lui déblayâmes le mal qu'il avait», comme si l'exposition du besoin et du manque équivalait au invocation.
2- Thu-l-Nûn (p)(7), un autre adorateur dévoué expose son besoin et son malheur à Allah, alors qu'il se trouvait dans les ténèbres du ventre d'une baleine: «Et Thû-l-Nûn (Jonas) quand il partit, irrité. Il pensa que Nous n'allions pas l'éprouver. Puis, il fit, dans les ténèbres, l'appel que voici:"Pas de divinité, à part Toi! Gloire à Toi! J'ai été vraiment du nombre des injustes". Nous l'exauçâmes et le sauvâmes de son angoisse. Et c'est ainsi que Nous sauvons les croyants». (Sourate al-Anbiyâ', 21: 87-88).
Là encore l'exaucement n'est pas une suite donnée à une demande, mais à un besoin et une angoisse exprimés, car Thû-l-Nûn n'avait présenté aucune requête, se bornant à dire à l'adresse d'Allah: «Gloire à Toi! J'ai été vraiment du nombre des injustes», lorsqu'Allah l'exauça et le délivra de ses soucis: «Nous l'exauçâmes et le sauvâmes de son angoisse».
3- Un autre exemple est l'histoire du Prophète Mûsâ (p) et de son frère Hârûn lorsqu'Allah leur demanda de porter Son message à Pharaon: «Allez chez Pharaon, il est rebelle; adressez-lui des paroles courtoises; peut-être réfléchira-t-il, ou éprouvera-t-il de la crainte? Tous deux dirent: "Notre Seigneur! Nous craignons qu'il ne l'emporte sur nous ou qu'il ne se montre rebelle».(8)
Les deux frères n'ont pas demandé à Allah de les protéger contre Pharaon et sa clique, ni de leur assurer la sécurité dont ils ont besoin. Ils se sont contentés d'évoquer leur faiblesse et leur crainte de la puissance et de la terreur de Pharaon: «Notre Seigneur! Nous craignons qu'il ne l'emporte sur nous ou qu'il ne se montre rebelle». Pourtant Allah a pourvu à leur besoin de protection, de soutien et d'appui: «Allah dit: "Ne craignez rien, oui Je suis avec vous; J'entends et Je vois».(9)
4- Le Prophète Nûh (Noé) exprima devant Allah son désir de sauver son fils du déluge: «Noé invoqua son Seigneur en disant: "Mon Seigneur! Mon fils appartient à ma famille. Ta promesse est sûrement la Vérité; Tu es le plus juste des juges».(10)
Notons qu'ici Noé ne demande pas au Seigneur qu'Il sauve son fils, mais s'est limité à lui faire part de son besoin de le sauver du naufrage.
Dans l'hagiographie des Prophètes, on rencontre un exemple où l'exaucement est le résultat du concours de trois facteurs, ou l'effet de trois causes conjuguées: 1- le besoin (manque inconscient); 2- la demande ou la requête (manque conscient); 3- l'effort, le mouvement et l'action. Il s'agit de l'histoire du nourrisson Ismâ'îl (p) et de sa mère lorsqu'ils furent amenés par le Prophète Ibrâhîm (p) dans une vallée aride, sur ordre d'Allah. Une fois sur place, Ibrâhîm (p) les laissa là et les confia à la protection d'Allah en disant: «O^ Seigneur, j'ai établi une partie de ma descendance dans une vallée sans agriculture, près de Ta Maison sacrée (la Ka'bah), - ô notre Seigneur - afin qu'ils accomplissent la C,alât».(11)
Lorsque l'eau laissée par Ibrâhîm (p) fut épuisée, le nourrisson Ismâ'îl, assoiffé, se mit à crier, à agiter les pieds et les mains, tandis que sa mère Hâger s'efforçait de chercher de l'eau en faisant le va-et-vient entre les monticules, C,afâ et Marwah, montant alternativement sur l'une et sur l'autre pour jeter un regard scrutateur sur le désert dans l'espoir de découvrir une source (c'est ce qu'on appelle, le sa'y = effort, une autre cause ou motif de la descente de la Miséricorde), tout en implorant Allah de lui trouver cette denrée rare qu'est l'eau dans cet endroit isolé et désertique (et c'est là la demande ou la prière de demande (le manque conscient). Après quoi, Allah répondit au besoin et au manque du nourrisson, aux efforts et au mouvement de la mère, à sa demande et sa prière, en faisant jaillir de la terre, aux pieds de l'enfant une source abondante (à l'endroit dit ZamZam aujourd'hui). En voyant le miracle, la mère descendit du monticule précipitamment pour abreuver son nourrisson et se mit à amasser de la terre pour la disposer en remblai autour de la source dans le but d'empêcher l'eau de se dissiper, tout en répétant le mot zam zam.
Cette scène que les pèlerins rejouent chaque année en commémoration de cet événement historique hautement symbolique constitue l'une des plus belles scènes de la relation du serviteur avec le Créateur, relation fondée sur trois points de départ:
1- Le besoin et le manque
2- L'effort et le mouvement
3- La prière de demande (invocation) et la sollicitation ou la requête.
Le deuxième moyen: la prière de demande et la sollicitation
Revenons aux moyens que l'Imam al-Sajjâd présente pour s'attirer la Miséricorde d'Allah pour rappeler que le premier de ces moyens est "son besoin et son manque", le second en est "le invocation", lequel constitue l'une des principales clés de la Miséricorde". En effet Allah dit: «Appelez-Moi, Je vous répondrai». (Sourate Ghâfir, 40: 60) et: «Mon Seigneur ne se souciera pas de vous sans votre invocation». (Sourate al-Furqân, 25: 77).
Le troisième moyen: l'amour
Le serviteur attire la Miséricorde d'Allah par l'amour plus que par n'importe quel autre moyen.
Maintenant examinons les détails de ces trois moyens dans les munâjât de l'Imam al-Sajjâd (p):
1- «Ton agrément est mon désir, Te voir est mon besoin, Tu possèdes le remède de ma maladie, l'apaisement de ma passion, le soulagement de ma souffrance, la dissipation de mon affliction».
Ce sont là les composants du moyen de "besoin-manque".
2- «Ton voisinage est l'objet de ma sollicitation, Ta proximité est le but de ma demande. Sois donc mon compagnon dans ma solitude, le conjurateur de mon trébuchement, le pardonneur de mon faux pas, l'acceptant de mon repentir, l'exauçant de ma prière, le tuteur de ma protection, le pourvoyeur de mon besoin».
Le moyen ici est "le invocation".
3- «C'est Toi, à l'exclusion de tout autre, que je veux, et c'est pour Toi, à l'exclusion de tout autre, ma veille et mon insomnie! Ta rencontre est la prunelle de mes yeux, Ton lien avec moi est mon âme! Mon désir c'est Toi, ma passion c'est Ton amour».
Et là, c'est le moyen de "l'amour".
Méditons à présent sur cette séquence des paroles d'al-Sajjâd (p), qui constitue un vrai et un merveilleux chef-d'oeuvre du genre, car le invocation, tout comme l'art et la littérature possède des chefs-d'oeuvre:
«Ma pensée s'est coupée de tout pour se concentrer sur Toi et mon désir s'est éloigné de tout pour se diriger vers Toi, car c'est Toi à l'exclusion de tout autre que je veux, et c'est pour Toi, à l'exclusion de tout autre, ma veille et mon insomnie, Ta rencontre est la prunelle de mes yeux etc.».
Ici nous avons traduit littéralement cette séquence de munâjât dont nous avions présenté un long passage dans la première partie de notre livre, pour mieux faire ressortir des nuances très significatives dans les expressions employées par l'Imam. Car al-Sajjâd (p) ne dit pas «ma pensée s'est concentrée sur Toi» - puisque la concentration de la pensée sur Allah n'exclut pas la possibilité de la concentration sur un autre, quand bien même le serviteur concentre sincèrement sa pensée sur le Miséricordieux -, mais «ma pensée s'est coupée de tout pour se concentrer sur Toi». Il y a donc dans la relation de l'Imam avec Allah une coupure avec tout ce qui n'est pas Allah, et une concentration exclusive sur Lui. Et dans tout amour sincère il y a "séparation" et "attachement": séparation ou rupture avec tout sauf Allah, est un attachement à Allah, à tout ce qu'Il aime et à tout ce qu'Il ordonne, en un mot, une rupture avec les créatures en vue d'un attachement exclusif au Créateur.
Il en va de même pour la seconde phrase: «mon désir s'est éloigné de tout pour se diriger vers Toi». La relation avec Allah comporte ici également, un "éloignement" de tout ce qui n'est pas Lui, le mouvement exclusif vers Allah, vers tout ce qu'Il aime et vers tout ce qu'Il ordonne.
Puis la troisième phrase vient confirmer d'une façon on ne peut plus éloquente cette vérité de l'amour sincère comportant deux volets, un attachement exclusif à Allah et une rupture totale avec tout ce qui n'est Lui: «car c'est Toi, à l'exclusion de tout autre, que je veux, et c'est pour Toi, à l'exclusion de tout autre, ma veille et mon insomnie».
"Veille" et "insomnie" sont deux contraires du sommeil, mais le premier, "la veille", consiste à veiller dans un état de "plaisir", alors que le second, "l'insomnie" exprime un état dans lequel quelqu'un est privé du sommeil à cause des soucis et des préoccupations, en l'occurrence la nostalgie et le désir d'Allah. Ils représentent donc deux des états de l'amour d'Allah: "le désir et le plaisir", le plaisir du souvenir d'Allah et de Sa présence auprès du serviteur, lorsque celui-ci se plonge dans les prières, le invocation et les invocations, d'une part, et le désir de Le rencontrer, d'autre part. L'aimant ou l'amoureux éprouve les deux états (le plaisir et le désir) lorsqu'il s'élève et se présente, recueilli, devant le Créateur, et tous les deux lui ôtent le sommeil et lui causent l'insomnie, pendant que les gens dorment profondément et se reposent tranquillement, totalement inconscients.
Notes:
1."Bihâr al-Anwâr", Tom 89, p. 92
2.Sourate al-Mâ'idah, 5: 35
3.Sourate al-Asrâ', 17: 57.
4.Sourate al-Cho'arâ', 26: 79-80.
5.Extrait de l'un des invocations du mois de Rajab.(voir "Mafâtih al-Jinân".
6.Job fut éprouvé par Allah par les maladies les plus pénibles. Il perdit ses biens et ses enfants, et cependant il ne se plaignît qu'à Allah.
7.Thû-l-Nûn quitta son peuple en colère, parce que ceux-ci ne croyaient pas en Allah. Il prit le bateau, mais le bateau s'arrêta, et d'après les coutumes des marins, ils tirèrent au sort pour connaître le responsable. Le sort tomba sur Thû-l-Nûn, et les marins le jetèrent à l'eau où une baleine le recueillit pour le vomir plus tard sur le rivage.
8.Sourate Tâhâ, 20: 43-45.
9.Sourate Tâhâ, 20: 46.
10.Sourate Houd, 11: 45.
11.Sourate Ibrâhîm, 14: 37.
Le sommeil est évidemment un besoin que tout le monde satisfait, aussi bien les bons serviteurs que les méchants. Même les Prophètes et les véridiques dorment. Mais il y a une grande différence entre quelqu'un ne dort que le temps nécessaire pour satisfaire son strict besoin de sommeil, tout comme il ne mange et ne boit que le strict nécessaire pour le besoin de son organisme, et un autre qui se livre totalement au sommeil et se laisse sous son emprise.
Les serviteurs dévoués d'Allah ne se rendent pas au sommeil. Ils ne dorment que le laps de temps nécessaire pour leur organisme. Le Prophète (P) par exemple ne dormait que très peu et se réveillait après chaque petit somme pour s'adonner aux prières et aux invocations. Il ordonnait que l'on déposât près de sa tête de l'eau pour faire le wudhû' (ablution) lorsqu'il se réveillait après chaque court sommeil. Lorsqu'on lui étalait un lit doux et confortable, il ordonnait que l'on l'enlève, de crainte que le confort ne suscite en lui l'envie de se laisser dominer par le sommeil. Il préférait dormir sur une natte rude qui l'empêche de se livrer à un sommeil profond.
En fait Allah a accordé une place particulière à la nuit, aux invocations et aux munâjât nocturnes, place différente de celle attachée aux actes d'adoration diurnes. De même que le jour a ses hommes, la nuit a ses hommes aussi: ils se lèvent lorsque les gens dorment, et s'activent et se dirigent vers Allah, lorsque les autres se relaxent et s'allongent sur leurs lits douillets, avant de plonger dans un sommeil de plomb.
La nuit a son monde comme le jour a le sien. Le monde nocturne a ses trésors comme le monde diurne a les siens. Mais si tout le monde connaît le monde diurne, ses hommes et ses trésors, peu de gens connaissent la valeur du monde nocturne, de ses hommes et de ses trésors.
Lorsque l'homme exploite aussi bien les ressources de la nuit que celles du jour, il devient mûr, sain et équilibré. Ainsi le Noble Prophète était à la fois un homme de nuit et l'homme de jour. Il puisait dans celle-là et celui-ci d'une façon équilibrée. De la nuit il épuisait les ressources de l'amour, du dévouement et de l'invocation (d'Allah), et du jour il s'Alimentait des sources de la force, du pouvoir et des finances, afin mener à bien l'Appel à l'Islam et l'asseoir sur une base solide. La veille et les prières de la nuit l'aidaient à supporter la lourde charge du Message. Allah, s'adressant au Prophète (P) dit à ce sujet:
«O^ toi qui es enveloppé de vêtements! Lève-toi pour prier la nuit, excepté une petite partie; sa moitié ou un peu moins; ou un peu plus. Et récite le Coran, lentement et clairement. Nous allons te révéler des paroles très importantes. La prière pendant la nuit est plus efficace et plus propice pour la récitation. Tu as, dans la journée, à vaquer à de longues occupations».(12)
Dans un hadith qudsî (divin) révélé à l'un des véridiques (çiddîqîn), à propos des prières pendant la nuit Allah dit:
«J'ai des serviteurs qui M'aiment et que J'aime, qui Me désirent et que Je désire, qui M'invoquent et dont Je me souviens, qui Me regardent et que Je regarde. Si tu suis leur voie, ils t'aimeront, et si tu te détournes d'eux, ils te détesteront».
- A` quoi peut-on les reconnaître?, demanda le véridique. Allah dit:
«Ils surveillent les ombres pendant le jour comme le berger surveille ses moutons, et ils désirent (recherchent) le coucher du soleil, comme l'oiseau désire son nid au crépuscule. Lorsque la nuit tombe, que l'obscurité se répand, que les tapis sont étalés et les lits faits, et que chaque bien-aimé se retire auprès de son bien-aimé, ils dressent leurs pieds pour Moi, dirigent leurs faces vers Moi, monologuent avec Moi en récitant Ma Parole (...), les uns en pleurant, d'autres en criant, d'autres en soupirant, d'autres en poussant des complaintes; les uns en position assise, d'autres en position debout, d'autres en état d'agenouillement, d'autres prosternés. Je vois ce qu'ils endurent pour Moi et J'entends ce dont ils se plaignent. Mon premier don pour eux consiste en trois choses:
1- Je projette des rayons de Ma Lumière dans leurs coeurs, et de ce fait, ils sauront de Moi, ce que Je sais d'eux;
2- Si les cieux et la terre étaient mis dans leurs balances, Je les trouverai insuffisants pour eux;
3- Je dirige Ma Face vers eux. Et, crois-tu que quelqu'un soit capable de savoir ce que Je vais donner à celui vers lequel Je dirige Ma Face?»
On rapporte de l'Imam al-Bâqer (p) qu'Allah avait révélé au Prophète Mûsâ Ibn 'Imrân (p):
«Aura menti quiconque dit qu'il M'aime tout en Me délaissant pour dormir à la tombée de la nuit. O^ Ibn 'Imrân! Si tu voyais ceux qui veillent pendant l'obscurité alors que Mon souffle se représente devant leurs yeux. Ils s'adressent à Moi, alors que Je suis hors de la vue, et ils Me parlent, alors que Je suis au-dessus de la présence! O^ Ibn 'Imrân! Verse pour Moi tes larmes et montre-Moi le recueillement de ton coeur, puis prie-Moi pendant l'obscurité de la nuit, tu Me trouveras tout près de toi, répondant (à ton appel ou ta prière)!».
Dans son prône à propos des pieux, l'Imam Ali (p) décrit l'état de ces serviteurs dévoués lorsque la nuit tombe et qu'ils se présentent devant Allah en Lui adressant leurs monologues:
«La nuit, ils mettent en rang leurs pieds pour réciter le Coran lentement et clairement. Ils s'en servent pour se réconforter et rendre efficace le remède de leurs maux. Lorsqu'ils rencontrent un verset qui comporte un intéressement, ils s'y fient par espérance, y aspirent avec désir, et croient que cela est à la portée de leur vue. En revanche, lorsqu'ils passent par un verset qui inspire la crainte, ils l'écoutent avec l'ouïe de leurs coeurs, et ont l'impression que l'inspiration et l'expiration de l'enfer frappent le fond de leurs oreilles. Aussi courbent-ils leurs bustes, et posent-ils leurs fronts, les paumes de leurs mains, leurs genoux et les bouts de leurs pieds sur le sol en demandant à Allah de leur accorder le salut. Tandis que le jour, ils sont indulgents, savants, purs et pieux. Ils sont démaigris par la crainte révérencielle, comme les flèches. Lorsqu'on les voit, on dirait qu'ils sont malades; mais constatant qu'ils ne le sont pas, on se dit: ils sont obsédés (par la crainte d'Allah)».(13)
D'autres figures du désir d'Allah dans les Munâjât de l'Imam al-Sajjâd (p)
«O^ mon Dieu! Fais que je sois au nombre de ceux dont les arbres de Ton désir se sont enracinés dans les jardins de leurs poitrines, dont le chagrin de Ton amour a envahi leurs coeurs, ceux qui se réfugient dans les gîtes de la pensée, qui se nourrissent à satiété dans les jardins de la Proximité et du dévoilement, qui s'abreuvent dans les bassins de l'amour avec des coupes de plaisir (...) ceux devant les yeux intérieurs desquels le voile a été enlevé, ceux dont les croyances et les consciences se sont débarrassés de l'obscurité du doute, (...) ceux des coeurs et des fors intérieurs desquels le tourment de l'incertitude a disparu, ceux dont les poitrines se sont élargies par l'accession à la connaissance (...) ceux qui se sont rassurés de leur retour vers le Seigneur, ceux dont les âmes se sont assuré l'obtention de la victoire et du succès, ceux qui ont trouvé la consolation en regardant leur Bien-Aimé (...) ceux qui ont réalisé un commerce rentable en troquant la vie d'ici-bas contre la Vie éternelle...
O^ mon Dieu! Quels délices pour les coeurs que Tu inspires! Que c'est beau que d'avoir l'illusion de marcher vers Toi sur les sentiers du mystère! Que c'est délicieux la saveur de Ton amour! Que c'est agréable le boire de Ta proximité! E'pargne-nous donc l'expulsion et l'éloignement de Ton voisinage! Place-nous parmi les plus intimes de ceux qui Te connaissent, les plus pieux de Tes serviteurs, les plus sincères de ceux qui T'obéissent, et les plus dévoués de ceux qui T'adorent!».
Il n'est pas question ici de nous écarter de notre sujet pour commenter ce merveilleux munâjât dont la beauté, l'éloquence et le style pittoresque se passent de commentaire. Toutefois, il est important de nous attarder un peu sur la première séquence du munâjât de l'Imam: «O^ mon Dieu! Fais que je sois au nombre de ceux dont les arbres de Ton désir se sont enracinés dans les jardins de leurs poitrines et dont le chagrin de Ton amour a envahi leurs coeurs!».
L'image qui ressort de la parole de l'Imam al-Sajjâd (p) présente les poitrines ou les coeurs des amis d'Allah comme des jardins joyeux et pleins de bons fruits, et laisse entendre que ces poitrines revêtent différentes formes:
Certaines poitrines sont des bureaux et des écoles d'apprentissage du savoir. Or, le savoir est une bonne chose et une lumière, mais à condition que la poitrine qui le contient demeure un jardin du désir d'Allah.
Certaines autres poitrines sont des fonds de commerce, des banques et des places boursières, pleins de chiffres, de statistiques et de bilans. L'argent et le commerce n'ont rien de répréhensible, bien au contraire, mais à condition qu'ils ne deviennent la préoccupation première et le souci principal du coeur.
D'autres poitrines se présentent comme des terrains salins où poussent les épines et les coloquintes, les poisons et les haines, la lutte pour le pouvoir et l'argent, les complots et les intrigues.
D'autres poitrines encore constituent des terrains de jeux et des lieux de distraction. Rien d'étonnant, car pour une grande partie des gens, la vie est jeux et distractions.
Enfin, il y a des gens dont la poitrine se scinde en deux parties: une partie est occupée aux venins, aux haines, aux intrigues et aux complots; et l'autre, aux distractions et aux jeux. Si la première partie venait à leur causer des soucis et des ennuis qui bradent leur quiétude et troublent leur stabilité, ils se réfugient dans l'autre partie et recourent aux distractions pour se soustraire aux tourments de la première partie.
Quant aux poitrines des amis d'Allah, se sont des jardins de joie et de bons fruits, comme le dit l'Imam al-Sajjâd (p). Des jardins dans lesquels les arbres du désir d'Allah sont plantés solidement et dont les racines se sont enfoncées profondément. Le désir d'Allah n'y est pas un élément accidentel, passager, susceptible d'être emporté par le premier vent que l'attrait, les artifices ou le sourire de la vie d'ici-bas pourrait faire se lever. C'est un désir qui ne s'émousse pas, et ses feuilles ne se fanent pas lorsque le serviteur qui l'éprouve venait à sombrer sous une accumulation d'épreuves et de malheurs, car les arbres d'un tel désir, lorsqu'ils sont bien enracinés dans la poitrine, demeurent verts et feuillés, et continuent à porter leurs fruits malgré toutes les intempéries.
L'état de désir est un état d'allégement et de vivacité, contraire à l'état de pesanteur de ceux qui sont attachés aux artifices de ce bas-monde, comme nous les décrit le Coran:
«Qu'avez-vous? Lorsqu'on vous dit: "E'lancez-vous dans le Chemin de Dieu", vous vous appesantissez sur la terre. Préférez-vous la vie de ce monde à la vie future?»(14)
En effet l'âme se relâche et éprouve des pesanteurs à mesure qu'elle s'attache et s'accroche à ce monde. Mais lorsque le serviteur se détache et se libère(15) de la vie d'ici-bas et de ses chaînes, il se sent soulagé du poids de ce monde, et dès lors l'amour et le désir d'Allah l'attirent plus facilement.
Arrêtons ici notre exposé sur les images de l'amour, du désir et du plaisir dans les invocation des Imams d'Ahl-ul-Bayt (p), pour poursuivre les autres aspects de l'amour divin.
L'unicité de l'amour divin (Les caractéristiques de l'amour)
Lorsque nous passons en revue les textes du Coran et de la Sunnah sur l'amour divin, nous remarquons qu'ils fixent trois critères à ce sujet : 1- La primauté de l'amour divin
Il faut que le croyant aime Allah plus que tout autre et plus que tout, et que le pouvoir de cet amour domine tout dans son coeur, car Allah dit:
«Dis: "Si vos pères, vos fils, vos frères, vos clans, les biens que vous avez acquis, un négoce dont vous craignez le déclin, des demeures où vous vous plaisez, vous sont plus chers que Dieu et Son Messager et la lutte sur le Chemin d'Allah: attendez-vous à ce qu'Allah vienne avec Son Commandement". Allah ne dirige pas les gens pervers».(16)
Le Coran n'interdit pas l'amour des parents, des enfants, des frères, des soeurs, des conjoints, de la tribu etc. tant qu'ils ne sont pas hostiles à Allah et à Son Prophète. Il n'interdit pas non plus l'amour des biens, du commerce, des maisons etc. tant qu'ils ne sont pas illégaux, puisqu'Allah dit:
«On a enjolivé aux gens l'amour des choses qu'ils désirent: femmes, enfants, trésors thésaurisés d'or et d'argent, chevaux marqués, bétail et champs».(17)
Ce qu'il interdit, c'est que cet amour soit plus fort que l'amour d'Allah, de Son Prophète et du combat sur Son Chemin. Le Coran dit encore:
«Certains hommes prennent des associés en dehors d'Allah; mais les croyants sont les plus zélés dans l'amour d'Allah».(18)
Ce troisième verset complète le premier, pour insister sur le fait que l'amour d'Allah doit l'emporter sur tout autre amour, puisque dans le premier verset Allah condamne ceux qui aiment quelqu'un d'autre plus que Lui, et dans le troisième, Il fustige ceux qui aiment quelqu'un d'autre que Lui autant que Lui.
Selon l'Imam Sadiq(p): «On n'aura pas une foi pure et sincère en Allah, tant qu'on ne L'aura pas aimé plus que soi-même, son père, sa mère, ses enfants, sa famille, ses biens et tout le monde».(19)
L'emprise de l'amour divin sur le coeur du croyant n'est pas une question théorique, dissociée de l'ensemble des activités de sa vie, de sa conduite et de ses relations. L'amour divin a ses exigences, ses nécessités et ses conséquences: s'il en est dissocié, ce ne serait pas un amour sincère. En d'autres termes, il ne suffit pas de dire ou de croire que l'amour d'Allah habite dans nos coeurs; il faut que nos actes le démontrent. Le Coran dit:
«Dis: "Si vous aimez vraiment Allah, suivez-moi, Allah vous aimera alors...».(20)
Lorsqu'un autre amour habite le coeur du croyant et que les exigences et les impératifs de cet amour s'opposent à ceux de l'amour d'Allah, c'est l'amour d'Allah qui doit l'emporter, avoir le dernier mot et être le plus agissant. Là seulement, le croyant peut croire à la sincérité de son amour d'Allah.
Les textes islamiques abondent en ce sens et insistent sur la nécessité de la prééminence de l'amour divin dans le coeur du croyant. Ainsi, le Prophète(P) dit:
«O^ mon Dieu! Je sollicite auprès de Toi Ton amour et l'amour de ceux qui T'aiment, et le moyen (l'action) qui me guide vers Ton amour. O^ mon Dieu! Fais que Ton amour soit plus aimé de moi que moi-même et ma famille».(21)
Et:
«O^ mon Dieu! Fais que je T'aime plus que toute autre chose, et que je Te craigne plus que toute autre chose! Coupe de moi les besoins de ce monde par le désir de Ta rencontre! Si Tu as consolé les gens attachés à ce monde avec ce qu'ils en désirent, console-moi avec Ton adoration!».(22)
2- Le gouvernement de l'amour d'Allah
Il faut que l'amour d'Allah gouverne la vie du croyant, ses relations et ses inclinations, de telle sorte qu'il devienne le gouverneur de son coeur, le moteur et le régulateur de ses sentiments et de ses sensations: il supprime dans le coeur du croyant tous sentiments d'amour et de haine qui ne concordent pas avec lui, et y fait naître et développer des types de sentiments d'amour et de haine qu'Allah approuve. Car comme il a été déjà dit: il n'est pas interdit que le croyant aime et déteste, et qu'il éprouve toutes sortes d'autres sentiments, mais il se doit d'orienter ses sentiments d'amour, de haine, de mécontentement et de satisfaction vers les endroits voulus ou agréés par Allah. Ainsi, un sentiment d'amour qui s'inscrit dans le prolongement de l'amour d'Allah, Allah le commande, et un sentiment d'amour qu'Allah n'interdit pas, l'Islam l'approuve. Le sentiment de haine envers les ennemis d'Allah, par exemple, Allah nous ordonne de le développer.
En bref, nous avons insisté jusqu'ici sur un premier point qui caractérise l'amour sincère d'Allah, à savoir que le croyant peut aimer pour lui-même, c'est-à-dire éprouver un amour qui n'est pas lié à l'amour d'Allah, mais à condition, que cet amour ne soit pas plus fort que son amour d'Allah. Le second point caractéristique de l'amour d'Allah sur lequel nous attirons l'attention ici, est que le croyant peut aimer ce qu'il veut, mais à condition que cet amour ne soit en opposition ou en contradiction avec l'amour d'Allah. Le Coran dit à ce propos:
«O^ vous qui croyez! Ne prenez pas pour amis vos pères et vos frères, s'ils préfèrent la mécréance à la Foi. Ceux d'entre vous qui les prendraient pour amis, seraient injustes».(23)
Ici, le Coran ne reproche pas à cette catégorie de croyants d'aimer leurs pères et frères plus qu'Allah, mais de les aimer malgré leur mécréance. Aussi Allah les a -t-Il mis en garde contre cet amour et cette amitié injustes, car comment peut-on aimer à la fois Allah et Ses ennemis, les mécréants!? Notons au passage, pour mieux saisir le sens de ce verset, qu'il a été révélé à propos de "Hâtib Ibn Balta'ah"(24) qui avait fait parvenir à son peuple mécréant une information faisant état de la marche du Prophète (P) sur leur région. Il ne fait pas de doute que ce personnage était un croyant, et que son amour des siens n'était pas plus fort que son amour d'Allah, mais il les aimait quand même, malgré leur hostilité affichée à Allah et à Son Messager (P).
Le coeur du croyant sincère ne saurait vibrer (palpiter) en même temps pour deux bien-aimés opposés: Allah et Ses ennemis. C'est seulement lorsque son coeur se sera dévoué à Allah et qu'il soumettra tous ses sentiments et toute son affectivité au contrôle d'Allah, qu'il sera libre d'aimer et de détester ce qu'il veut, mais toujours dans les limites des critères des enseignements islamiques.
Ainsi, si le croyant est sincère dans son amour d'Allah, il n'a pas à donner libre cours à ses sentiments, les débrider, et se laisser traîner par eux. Il ne doit pas non plus nouer des relations et des liens avec n'importe qui et n'importe comment. C'est l'amour d'Allah qui doit déterminer scrupuleusement ses relations et ses penchants. Les premiers Musulmans, n'hésitaient pas, lorsque le cas l'exigeait, à tuer leurs pères, leurs frères et leurs oncles mécréants qui menaçaient les adeptes de l'Islam. L'Imam Ali (p) dit à ce propos:
«Nous tuions, avec le Messager d'Allah, nos pères, nos fils, nos frères et nos oncles... Ceci ne faisait qu'augmenter notre Foi et notre soumission à Allah, notre détermination à poursuivre la route, notre endurance de la brûlure de la douleur, notre sérieux dans le combat contre l'ennemi (...). Et lorsqu'Allah a vu notre sincérité, Il a apporté l'humiliation à l'ennemi, et la victoire à nous, et ce jusqu'à ce que l'Islam fût établi».(25)
Ce hadith appelle deux commentaires:
Notes:
12.Sourate al-Muzzammil, 73: 1-7.
13."Nahj-ul-Balâghah", annotation de Subhî al-Sâlih, h 193.
14.Sourate al-Tawbah, 9: 38.
15.Se détacher et se libérer de ce monde ne signifie pas qu'on l'abandonne totalement pour se retirer et se cantonner dans une vie de monastère, car le Noble Prophète (P) était libéré de la servitude de ce monde, mais il a continué à oeuvrer et à travailler dur en vue de la victoire de l'Appel sur les attraits de la vie terrestre et pour soumettre celle-ci, au lieu de se soumettre à elle.
16.Sourate al-Tawbah, 9: 24.
17.Sourate A^le 'Imrân, 3: 14.
18.Sourate al-Baqarah, 2: 165.
19."Bihâr al-Anwâr", 70/24-25.
20.Sourate A^le 'Imrân, 3: 31.
21."Kanz al-'Ummâl", 2/209, h 3794.
22."Kanz al-'Ummâl", 2/182.
23.Sourate al-Tawbah, 9: 23.
24."Tafsîr Nour al-Thaqalayn", Tom 2, p. 195.
25."Nahj-ul-Balâghah", op. cit., 1/91-92, h. 52.