La quiétude
L’une des règles spirituelles importantes des actes de culte, en particulier des actes cultuels consistant en invocations (‘ebâdât-e dhekriyye), est la quiétude (xoma’nîne), qui est autre chose que la tranquillité que les docteurs de la Loi, que Dieu soit satisfait d’eux, envisagent à propos de la Prière. Elle consiste en ce que le pèlerin spirituel accomplisse l’acte de culte avec un cœur tranquille et un esprit serein, car s’il l’accomplit avec le cœur troublé et en étant agité, le cœur ne sera pas influencé par cet acte de culte, il n’en résultera aucun effet dans le malakût du cœur et la réalité essentielle de l’acte cultuel ne deviendra pas la forme intérieure du cœur.
[En effet] l’une des raisons de la répétition des actes de cultes et de la multiplication des invocations et des litanies (adhkâr-o awrâd) est qu’elles aient une influence sur le cœur et y produisent un effet, afin que, peu à peu, la réalité essentielle de l’invocation et de l’acte culturel façonne le for intérieur du pèlerin et que son cœur ne fasse plus qu’un avec la réalité spirituelle du culte. Or, tant que le cœur n’a pas de sérénité, de paix, de quiétude et de pondération, les rites et invocations n’ont aucun effet sur lui, ils ne dépassent pas les limites de la forme extérieure et du mulk du corps vers la réalité intérieure et le malakût de l’âme, et ce qui revient au cœur dans l’acte de culte n’a pas été accompli. C’est là quelque chose de clair, qui ne nécessite pas d’explication et que l’on comprendra si l’on y réfléchit un tant soit peu.
Du grand danger que l’on court à délaisser la quiétude du cœur
Si un acte de culte est tel que le cœur n’en a connaissance sous aucun rapport et qu’aucun effet ne s’en produit dans le for intérieur, il n’aura pas d’existence permanente dans les autres mondes et ne s’élèvera pas du domaine du molk vers celui du malakût, et il est même possible, à Dieu ne plaise, qu’au moment des tourments de l’agonie, des affres terribles de la mort et des terreurs et épreuves qui y font suite, la forme de [cet acte de culte] soit totalement effacée et éliminée de la surface du cœur et que l’on aille se présenter devant la Sainte Réalité divine les mains vides.
Si quelqu’un prononce, par exemple, la noble invocation « Il n’est de dieu que Dieu, Mohammad est l’envoyé de Dieu » avec un cœur tranquille et serein et qu’il enseigne cette noble invocation à son cœur, peu à peu la langue de son cœur se déliera et sa langue physique suivra celle du cœur :
c’est d’abord le cœur qui fera l’invocation, et derrière lui la langue. Son Excellence l’Imam Sâdeq, que la Paix soit avec lui, a fait allusion à cela dans une tradition rapportée dans le Flambeau de la Loi révélée : « Fais de ton cœur la Qibla de ta langue et ne la mets en mouvement que sur signe du cœur, en accord avec l’intelligence et avec l’agrément de la foi ». Au début, alors que la langue du cœur ne s’est pas déliée, le pèlerin de la voie de l’autre monde doit lui enseigner l’invocation et la lui inspirer dans la quiétude et la paix. Dès que la langue du cœur se délie, le cœur devient la Qibla de la langue et de tous les autres membres, et lorsqu’il invoque, l’être tout entier fait l’invocation.
Mais s’il prononce cette noble invocation sans quiétude ni paix du cœur, en étant pressé, troublé et dispersé, aucun n’effet ne s’en produira dans le cœur : elle ne dépassera pas les limites de la langue et de l’ouïe extérieures et animales pour atteindre le for intérieur et l’ouïe [véritablement] humaines, sa réalité essentielle ne se concrétisera pas dans le cœur et elle ne deviendra pas une forme de perfection impérissable du cœur. De ce fait, si des terreurs et des tourments surviennent – tels, en particulier, les terreurs et affres de la mort et les tourments de l’agonie –, il oubliera totalement cette invocation et elle sera effacée de la surface du cœur. Il oubliera même les noms de la Réalité suprême, du Sceau des Envoyés, que Dieu prie sur lui et sa famille, de la noble religion de l’islam, du Saint Livre divin, des Imams de la guidance et toutes les autres connaissances qui ne sont pas parvenues au cœur, et au moment de l’interrogatoire dans la tombe, il ne pourra donner de réponse. Lui souffler les réponses ne lui sera même d’aucun profit, car il ne verra en lui-même aucune trace des réalités [auxquelles réfèrent] la Seigneurie, la Prophétie et les autres connaissances. Ce qui était prononcé du bout de la langue et qui n’a pas pris forme dans le cœur sera effacé de son esprit et il ne lui restera rien de l’attestation de la Seigneurie et de la Prophétie, ni des autres connaissances.
Il est rapporté dans les hadiths que l’on fera entrer en Enfer un groupe de la communauté du plus noble Envoyé, que Dieu prie sur lui et sa famille et leur donne la Paix, et qu’en raison de la frayeur que leur inspirera l’ange maître de l’Enfer, ils en oublieront le nom du Prophète ; or il est précisé dans le même hadith qu’ils sont des gens de foi et que leurs cœurs et leurs visages brillent et resplendissent de la lumière de la foi !
L’éminent traditionniste Madjlesî, que Dieu lui fasse miséricorde, dit dans les Miroirs des cœurs – en commentaire du noble hadith « Je suis son ouïe, son regard… » – quelque chose que je rendrai ainsi : « Celui qui n’emploie pas ses yeux, ses oreilles et ses autres organes dans l’obéissance à la Réalité suprême n’aura pas d’yeux ni d’oreilles spirituelles, or ces yeux et oreilles de chair relevant du molk ne vont pas dans cet autre monde : il sera donc dans le monde de la tombe et de la résurrection sans yeux et sans oreilles, or ce par quoi se déroule l’interrogatoire dans la tombe, ce sont ces organes spirituels ».
Pour faire bref, les nobles hadiths concernant cette sorte de “tranquillité” et ses effets sont fort nombreux : le Noble Coran ordonne de psalmodier le Coran (Cor. 74.4) et il est dit dans les nobles hadiths que « si quelqu’un oublie une sourate du Coran, elle prendra pour lui, au Paradis, un forme d’une beauté inégalable ; lorsqu’il la verra, il lui dira : “Qui est-tu ? Comme tu es belle ! Si seulement tu étais de moi !”. Elle lui répondra alors : “Tu ne me reconnais pas ? Je suis telle sourate : si tu ne m’avais pas oubliée, je t’aurais fait parvenir à ce degré élevé” ». Il est [aussi] dit que « quelqu’un qui récite le Coran quand il est jeune, le Coran se mélange à sa chair et à son sang » : la raison en est que dans la jeunesse le cœur a moins de préoccupations et de ternissures, et de ce fait, le cœur est plus et plus vite réceptif, et l’effet reçu est également plus durable. Les hadiths sur ce thème [du Coran] sont nombreux et nous en ferons état, si Dieu veut, dans le chapitre sur la récitation du Coran. Il est [encore] dit dans les hadiths que « rien n’est plus aimable à Dieu le Très-Haut qu’un acte accompli de manière continue, même si cet acte est peu de chose » : il se peut que la raison profonde en soit que l’acte devient [alors] la forme intérieure du cœur, ainsi que cela a été dit.